Chapitre 2

Chapitre 2

LA FREQUENCE CARDIAQUE

Jules Lammatela et Jim Dupont, deux coureurs à la VMA identique, se retrouvent pour une séance d’entraînement. Jules : « salut Dupont, tu as quoi au programme aujourd’hui ? ». Jim : « une heure à 70% de VMA, et toi Lammatela[1] ? ». Jules : « dommage, moi aussi je dois faire une heure mais à 80% de FCmax ». Jim : « bon tant pis, on va s’entraîner chacun de son côté ». Dommage en effet, s’ils avaient lu un tout petit peu de physiologie, ces deux coureurs se seraient vite rendu compte que leur séance était en réalité similaire. En effet, le pourcentage de VMA (ou de VO2max) et le pourcentage de FCmax ne sont pas identiques. Cela se comprend facilement : dans le cas de la VMA, on part de 0 km/h pour aller au maximum alors que pour la fréquence cardiaque, on part de sa valeur de FC de repos soit entre 30 et 60 batts/min.

Pour faire le lien entre les deux, on utilise la formule de Karvonen :

FCcible = [(FCmax – FCrepos) × % VMA désiré] + FCrepos

Pourquoi utiliser cette formule apparemment complexe à la place du simple pourcentage de FCmax ? Revenons à Jim. Il a une FCmax de 190 batts/min et une FC de repos de 60 batts/min. Pour s’entraîner à 70% de VMA, Jim doit courir à une fréquence cardiaque de :

FC = [(190 – 60) × 70/100] + 60 = 151 batts/min.

Ce qui correspond à environ 80% de FCmax (80% × 190 = 152 batts/min). Les deux copains auraient donc pu s’entraîner ensemble.

Si l’on est sur un stade, on choisira la vitesse comme base de travail mais en pleine nature, la fréquence cardiaque est – avec la perception subjective de l’effort – le seul moyen de juger de l’intensité de l’entraînement. Pour autant, l’utilisation de la FC a aussi ses limites : la température, la déshydratation, la fatigue, la prise alimentaire, l’émotion et le stress peuvent l’augmenter. En outre, si vous voulez utiliser la FCmax pour déterminer vos allures (directement en pourcentage de FCmax ou en utilisant la formule de Karvonen), il faut la mesurer correctement. Pour cela, le protocole est le suivant : après un bon échauffement amenant la FC à 130 batts/min, choisissez une côte de 3-4 minutes. Débutez par 2-3 minutes à allure de course puis accélérez l’allure jusqu’au maximum de vos possibilités pendant une minute. Pour définir la FCmax, le mieux est évidemment de disposer d’un cardiofréquencemètre (voir chapitre 6). Dans le cas contraire, les pulsations doivent être enregistrées au poignet immédiatement à la fin de l’exercice pendant 10 s. Si vous vous trouvez entre deux battements à la fin des 10 s, ajoutez 0,5 batts/min. Exemple : 30,5 × 6 = 183 batts/min. Il est bon de recommencer le test dans les jours suivant pour en vérifier la validité.

De la même façon, la FC de repos pour utiliser la formule de Karvonen est sujette à variation. Faut-il prendre la FC de repos au réveil ou la FC de repos juste avant l’entraînement ? Et si on retient la 2e solution, faut-il la mesurer couché, assis, debout ? La vraie FC de repos se mesure le matin après une bonne nuit de sommeil ponctuée d’un réveil sans alarme. Si vous n’avez pas de cardiofréquencemètre, restez allongé quelques minutes au calme puis mesurez au poignet votre fréquence cardiaque pendant 30 s ou 1 minute en étant allongé. Comme pour la FCmax, il est nécessaire de vérifier deux ou trois fois cette valeur à des jours différents. Une FC de repos qui augmente peut être un indice de surentraînement mais avoir une FC basse n’est pas la preuve que tout va bien (voir chapitre 5). Mais c’est le signe que vous êtes un vrai sportif. Des fréquences cardiaques de repos inférieures à 30 batts/min ont couramment été rapportées chez des athlètes élites dans les sports d’endurance

Enfin, notez que la FC peut aussi vous aider à traquer vos progrès à l’entraînement d’une part et la fatigue d’autre part. Pour la fatigue, nous verrons au chapitre 5 ce que signifie la variabilité de FC. Vous pouvez aussi suivre ce que l’on appelle la cinétique de FC : de la transition du repos à l’exercice ou bien en récupération. Par exemple, des sportifs fatigués diminuent moins vite leur FC à l’arrêt de l’exercice et à l’inverse, des athlètes en forme sont capables de revenir plus vite à leur FC de repos (Lamberts et al. 2010) .

[1] Toutes mes excuses, cela m’a été imposé par mon éditeur afin de toucher des subventions du ministère des blagues pourries.

La prise en compte du temps de soutien à VMA

Par Pascal Balducci

Il est possible, pour déterminer plus précisément la durée des interval-training de prendre en compte une autre variable : le temps de soutien à VMA encore appelé temps-limite (T-lim). Après avoir évalué sa VMA par un test progressif (voir chapitre 1), on établit quelques jours plus tard T-lim. Rien de plus simple : par exemple, on vous a mesuré une VMA de 15 km/h, partez à cette vitesse, c’est-à-dire 24 s/100 m et 4 min/km pour tenir le plus longtemps possible. Le physiologiste Åstrand a montré que les durées d’entraînement inférieures à 1 min représentaient un travail sous-maximal au regard des réponses cardiorespiratoire et métabolique. Même en récupérant à une vitesse aussi élevée que 60% de VMA, le temps cumulé passé à VO2max est largement inférieur au temps limite. Ce même Åstrand proposait des répétitions de 2 à 3 min à 100% de VO2max entrecoupées de récupération active de 2 minutes. En raison de la variabilité du temps limite (4 à 11 min pour une moyenne de 6 min), Véronique Billat a proposé des répétitions d’une durée de 50% du temps limite à VMA avec des durées de récupération équivalentes courues à 50% de VMA. Les deux méthodes (répétitions de 2 min ou de 50% T-lim) permettent de passer environ le même temps cumulé à VO2max, c’est-à-dire 2,5 fois la durée de T-lim [1].

En pratique, que fait-on ? On individualise en fonction de la VMA et du temps limite mais aussi de la réserve de vitesse anaérobie (écart entre la VMA et la vitesse maximale). On diversifie les séances en jouant sur tous les paramètres (durées et intensités des fractions et des récupérations). On tient compte dans la programmation des progrès souvent rapides de la VMA en quelques semaines. Voici quelques exemples de séances :

– 25 min échauffement + éducatifs + 3 accélérations progressives + 2 séries de 4 × 2 min à

100% VMA, récupération 2 min à 60% VMA et 3 min active entre les séries. Finir par une récupération active de 10 min à 50-60% VMA. On appelle aussi cela le retour au calme. 

– 25 min échauffement + éducatifs + 3 accélérations progressives + 10 × 400 m à 90% VMA, récupération 100m à 80% VMA, et finir par 10 min de récupération active. (Exemple pour une VMA à 15, 10 × 400 m à 13,5 km/h / récup 100 m à 12 km/h, soit 10 × 1 min 47 / 30 s)

Ce système d’accélération-décélération a l’avantage de faire travailler l’athlète au plus près de sa consommation maximale d’oxygène et très rapidement dans la zone de VMA en termes de FC.  

Consignes du test 36-12

L’utilisation d’une piste de 400 m est idéale car vous pouvez vous assurer de la distance que vous avez réalisée. Si vous n’avez pas accès à une piste, trouvez une longue section plate de route ou chemin blanc de 400 m minimum (idéalement 1200 m complétement plat) et qui n’est pas impacté par la météo (i.e., évitez les terrains devenant boueux avec la pluie). Vous pouvez courir en aller-retour sur cette section. Il est nécessaire que vous mesuriez la distance de manière précise.

Après un échauffement standardisé, le texte consiste en la réalisation de deux courses contre-la-montre, sur 3600 m et 1200 m (respectivement 9 et 3 boucles d’une piste d’athlétisme standard). En prenant en compte le temps sur les deux distances, ainsi que la différence de vitesse entre les deux distances, il est possible de calculer la vitesse critique, qui informe sur votre performance et votre endurance. Cela est aussi corrélé avec votre ‘seuil anaérobie’ et cela permet de prédire votre performance sur des événements courus à haute intensité (du 1500 m au 10 km). À partir de ces tests, il est possible calculer vos zones d’entrainement. Pour cela, vous pouvez vous connecter sur l’application gratuite Trainimm (voir www.trainimm.fr).

DEUX AUTRES EXEMPLES DE WEC

Voici une proposition de deux formats de WEC ‘costauds’, que l’on va décortiquer ensemble.

WEC 1

WEC 2

Jour 1 : Sortie trail, 60 km, 4000 m D+Jour 1 : Sortie trail, 50 km, 3500 m D+
Jour 2 : Sortie trail, 50 km, 3000 m D+Jour 2 : Sortie vélo de route, 120 km, 2500 m D+
 Jour 3 : Sortie trail, 40 km, 3000 m D+

WEC 1

Ce premier scénario va vous permettre de développer des compétences dans la pratique de la rando-course, format pendant lequel on marche dans les montées, et on essaye de courir sur les portions plates ou très roulantes, et dans les descentes. La rando-course est probablement la forme la plus aboutie de la pratique du trail. C’est celle qui nous transporte vers des paysages magnifiques, le long d’itinéraires grandioses. Elle nous plonge pleinement dans le contexte naturel, souvent en montagne, parfois même en haute montagne (c’est-à-dire au-delà de 2500 m d’altitude). C’est une manière très globale d’envisager la discipline, et nous allons voir pourquoi. Dans ce premier scénario, le jour 1 est consacrée à une sortie de 60 km, avec 4000 m de dénivelé positif (et sans doute autant en descente !). Sur du terrain moyennement technique, en se basant sur une vitesse de course moyenne de 5 km/h, cela représente la durée modique (et non maudite !) de 12 heures. Ce n’est pas rien, tout ça ! Vous devez bien sûr être déjà expérimenté en trail pour cela.

Le premier jour va donc induire clairement un état de fatigue marqué. La gestion de la récupération, entre l’arrivée de cette sortie, et le début de la suivante, est primordiale. La gestion de la nutrition prend tout son sens. Et puis, c’est presque une évidence, allez vite vous coucher ! Votre sommeil constitue une des étapes clés de la récupération[1]. Le lendemain matin, le départ sera à nouveau très matinal.

La seconde journée de ce premier scénario enchaine avec une sortie à nouveau de type rando-course, en se levant tôt pour faire une partie de nuit, mais offrant un volume un peu plus faible en distance et dénivelés. On recommande fortement d’opter pour des itinéraires variés, en évitant la seconde journée de repasser par les mêmes endroits. La variété des paysages et des ambiances vous aidera à supporter la fatigue et maintenir l’effort !

L’intérêt de cette seconde journée est d’une part d’augmenter votre volume sur ces deux journées, puisque vous totaliserez 110 km, et 7000 m de dénivelé, soit une fraction très élevée des caractéristiques de l’UTMBÒ (65 % de la distance, 73 % du dénivelé). D’autre part, vous l’abordez en situation de fatigue, c’est-à-dire dans un état physiologique proche de ce que vous connaitrez pendant votre ultra-trail. Et là, il y a apprentissage.

 

WEC 2

Le second scénario est structuré différemment. Il se déroule sur 3 jours consécutifs, et inclut en seconde journée une séance de vélo sur route. Les deux séances de course à pied (rando-course) sont voisines de celles proposées dans le scénario 1, avec un dénivelé total à peu près équivalent, mais sur une distance plus courte (90 km au lieu de 110 km). Avec la séance de vélo, l’ensemble porte le dénivelé total à 9000 m, c’est-à-dire très proche du dénivelé de l’UTMB. L’intérêt de ce scénario, par rapport au précédent, est d’augmenter significativement la charge, en l’étalant sur une période de 3 jours. Respectant le principe d’alternance, plutôt que d’enchainer 3 séances de course, l’incorporation d’une sortie vélo apportera un peu de variation, et permettra aux muscles de travailler de manière moins traumatisante. La dernière séance, en fin de bloc, sera certainement difficile à réaliser. Mais son kilométrage est un peu plus modeste. Vous voilà donc doté d’un outil puissant, multiforme, très souple dans son utilisation. A vous désormais d’en faire le meilleur usage !

[1] Sauf si vous avez décidé de faire un WEC avec une partie de la nuit ce qui est aussi possible voire même recommandé au moins une fois dans la saison. Mais il faut être sûr de pouvoir récupérer les heures de sommeil la semaine suivante.

Ski de fond et ski de randonnée en pratique

En ski de fond, on peut se demander s’il vaut mieux faire du skating ou pas alternatif ? 

L’entraînement de VO2max peut être réalisé de façon similaire avec les deux techniques (Millet, 1997). Pour les débutants, le classique est plus facile… en apparence. Il est vrai que l’on peut assez vite pratiquer la marche glissée mais pour ce qui est d’apprendre réellement à skier, le skating sera plus aisé à moyen terme. Et puis, le skating est plus simple (pas besoin de farter) et plus fun car plus rapide. L’idéal est de pouvoir faire les deux. Le ski de randonnée nordique, un genre de compromis entre le ski de fond et le ski-alpinisme est aussi une option intéressante. Seul inconvénient : il demande du matériel spécifique (skis plus larges avec des carres, fixations plus solides qu’en ski de fond), ce qui commence à faire quelques euros investis dans votre pratique. On peut toutefois louer de simples skis à écailles. La raquette est une autre possibilité mais franchement, il est quand même plus sympa de profiter des descentes pour glisser. Même si vous n’êtes pas skieur et ne venez au ski qu’une ou deux semaines par an, cela vaut le coup de prendre quelques cours de skating pour vous initier au ski de fond. 

Il existe deux grandes techniques : 

  • Style classique où les skis restent parallèles et possèdent un système anti-recul ;
  • Pas de patineur ou skating où la semelle des skis est aussi lisse que celle des skis alpins. Comme en roller, l’appui n’est possible qui si le ski forme un angle avec la direction de déplacement.

Si vous ne venez qu’une ou deux fois par an au ski, contentez-vous de la technique classique : louez des skis à écailles et faites-vous plaisir à découvrir les pistes balisées. Tant pis pour la grisante impression de vitesse. L’avantage des skis a écailles est qu’ils vous permettront de sortir des traces, vous gagnerez en sensation de liberté ce que vous perdez en vitesse.  Attention toutefois, il faut être relativement bon skieur pour cela. De plus, si votre intention est de sortir des traces, ce que l’on appelle la randonnée nordique, optez pour une paire de ski dédiée à cela : un peu plus large et solide, avec des carres, en gros des skis entre les skis de fond traditionnels et les skis de randonnée alpine.

Si vous escomptez skier régulièrement, nous vous conseillons de tout de suite faire l’effort d’apprendre le skating. Les sensations de glisse sont fantastiques, les distances parcourues beaucoup plus grandes, bref le plaisir est décuplé. Bien sûr, l’apprentissage est un peu plus difficile et il est alors utile de prendre quelques cours auprès d’une l’Ecole de Ski. 

La pratique du ski de fond n’exige pas de connaissances spécifiques sur le milieu montagnard, dans la mesure où elle se déroule sur un environnement préparé et sécurisé. En outre, même un enneigement médiocre permet le traçage des pistes. En revanche, l’altitude souvent moyenne des stations nordiques rend la discipline vulnérable à l’évolution climatique et au manque de neige récurrent de ces dernières années.

Attention de toujours respecter « l’esprit ski de fond » : cédez la piste quand on vous la demande, arrêtez-vous sur le plat plutôt qu’au milieu d’une descente, ne marchez pas sur les bâtons de celui qui vous précède, ne levez pas les pointes trop haut quand vous adoptez la position de recherche de vitesse … Et souriez. Le ski de fond, c’est fun.

Le matériel

Si vous n’êtes pas spécialiste, ne cherchez pas le matériel haut de gamme. Non seulement ce serait inutile, mais cela pourrait même limiter vos progrès techniques. Ainsi les skis trop raides des champions sont plus difficiles à piloter et des chaussures très rigides vous empêcheront de bien « sentir » la neige. 

D’une façon générale, les débutants ont tendance à s’habiller trop chaudement pour pratiquer le ski de fond. Oubliez les combinaisons chaudes, les gants de skis alpins et les gros bonnets en laine. Sauf s’il fait –15°C, ce qui est de plus en plus rare, choisissez plutôt des survêtements légers ou des collants d’athlétisme, des gants et un bonnet fins, et des sous-vêtements en polypropylène. En cas de neige ou de pluie, utilisez un vêtement imperméable et respirant du type GoreTex. Pour les sorties de plus d’une heure, n’oubliez pas non plus la ceinture porte-bidon ou la banane, d’autant plus qu’on se déshydrate plus rapidement en altitude. 

Des séances pour varier les plaisirs

Le plaisir du ski de fond tient bien sûr à l’espace naturel souvent peu fréquenté. Il tient aussi dans la variété des pas existant, notamment en skating. Ainsi, le bon skieur de fond modifie sans cesse sa technique pour l’adapter au terrain ou aux conditions de neige afin de fournir le moins d’effort possible. Quel bonheur de se déplacer rapidement sur la neige sans souffrir. Si l’on cherche à renforcer plutôt les jambes, on pourra patiner en tenant les bâtons par le milieu. C’est d’ailleurs un très bon exercice pour apprendre l’équilibre. Si l’on souhaite travailler plutôt les bras, alors il est possible de garder les skis parallèles et ne se servir que des bâtons pour se propulser. Sur un plan plus physio, il n’est pas interdit de varier les intensités, en particulier avec des séance de fartlek, où des phases d’accélération pourront être placées, entrecoupées de phases plus calmes. Mais la sortie habituelle de l’ultra-traileur l’hiver c’est la sortie de plusieurs heures en privilégiant le travail d’endurance de faible intensité. 

Ski-alpinisme

(écrit par François Nicot, extrait de notre ouvrage ‘Réussir son UTMB)

Le ski-alpinisme, encore appelé ski de randonnée ou plus simplement « ski de rando », est moins abordable que le ski de fond pour les non-spécialistes, il s’adresse à davantage à des montagnards plus expérimentés. Les risques (chutes en descente et risques liés à la pratique de la montagne en hiver) y sont aussi plus élevés. Cela est néanmoins le sport hivernal idéal pour l’ultra-traileur qui a la chance de pouvoir s’y adonner. 

Le ski de rando (ou ski-alpinisme) se distingue du ski de fond par un matériel un peu plus lourd et rigide. Les skis ressemblent à des skis alpins, mais beaucoup plus légers (le poids est l’ennemi du plaisir, en montée !). Ils sont équipés de fixations spécifiques, présentant la particularité d’avoir deux positions : une position en montée, où la talonnière est libérée afin de permettre le mouvement de pivot de la chaussure autour de l’axe de rotation placé en avant de la fixation (un peu comme en ski de fond, mais avec plus de rigidité latérale) ; et une position en descende, où la talonnière est bloquée, évoquant alors une fixation de ski alpin. En configuration de montée, des peaux autocollantes sont placées sous la semelle des skis, afin d’éviter de déraper en arrière, tout en permettant de glisser vers l’avant. A la descente, les peaux sont retirées, ce qui permet une glisse dont les caractéristiques techniques sont celles du ski alpin.

Il y a quelques années, on appelait cette discipline le ski de montagne. Elle se déroulait surtout au printemps. Depuis 20 ans, le ski de rando a connu une évolution significative. Le matériel a progressé, rendant la discipline plus accessible au plan technique. On pratique désormais le ski de rando dès que la neige est là,  avec pour certains une attirance marquée pour la neige poudreuse ! En revanche, il y a des dangers dont il faut bien tenir compte. Au tout premier plan, le risque d’avalanches. C’est le danger le plus complexe à gérer. On ne rappellera jamais assez l’importance de se former, d’apprendre à préparer son itinéraire en tenant compte des conditions de neige, des conditions météo, du profil de la sortie (terrain), et des participants prévus pour la sortie. On n’imagine plus aujourd’hui qu’on puisse pratiquer le ski de rando sans l’équipement individuel standard de sécurité : DVA (détecteur de victimes d’avalanches), sonde et pelle. Et bien sûr, il va sans dire que vous sachiez utiliser ce matériel sur le bout des doigts ! Des formations spécifiques sont organisées tout au long de l’hiver. Fréquentez-les régulièrement, afin de réactualiser vos compétences. Le jour où l’on est confronté à un accident, il est trop tard pour réfléchir. Ce sont les réflexes acquis lors des formations qui permettront peut-être de sauver des vies.

Le milieu montagnard enneigé est assurément magique et grisant. Il comporte toutefois des pièges. Reportez-vous au chapitre de cet ouvrage dédié au milieu montagnard. De manière synthétique, nous retiendrons le schéma suivant, à mettre en place lors de toute sortie de ski de rando :

Préparation de la sortie

Une sortie ne s’improvise pas, on doit la bâtir en fonction de 2 critères majeurs : quelles sont les conditions nivo-météo, et qui participera à la sortie. Bâtir une sortie, signifie repérer sur une carte un itinéraire, et donc identifier les éléments techniques objectifs : longueur (durée), dénivelé total, pente moyenne, et présence de passages exposés ou raides, orientation de l’itinéraire (secteur froid ombragé ou encaissé, ou secteur chaud ouvert et ensoleillé), présence de barres rocheuses, de ruptures de pentes (zones potentielles de fragilisation du manteau neigeux), traversée de cols, existence de variantes en cas d’abandon de l’itinéraire, etc. Cette étape de préparation, qui peut prendre du temps, et exige des compétences en cartographie, suppose de savoir lire très correctement une carte topo. L’estimation des conditions nivo-météorologiques (nivo, comme nivologique, c’est-à-dire qui se rapporte à la neige) sera faite à partir des Bulletins d’Estimation du Risque d’Avalanche (BERA) édités tous les jours par Météo-France, et disponibles sur Internet. Ces bulletins sont rédigés pour chaque massif (Vanoise, Beaufortain, Ecrins, etc.) ce qui permet de sectoriser l’analyse.

Nous tenons à insister sur cette phase de préparation. Beaucoup d’accidents liés à la survenue d’avalanches auraient sans doute pu être évités si cette étape avait été menée soigneusement. N’hésitez pas à vous former, pour être plus pertinents dans votre pratique. Vous en retirerez, en plus d’un élargissement de votre marge de sécurité, un plaisir certain.

Réalisation de la sortie (au départ, et en cours d’itinéraire)

Au départ de votre sortie, pensez à bien vérifier que chaque membre du groupe est équipé du matériel de sécurité, les DVA étant basculés en mode « émission ». C’est le moment opportun pour se faire une idée générale des conditions locales, et vérifier si les conditions météo correspondent à ce que le Bulletin de prévision annonçait. En cas de doute, il est encore temps de modifier votre projet. N’oubliez jamais que le renoncement fait partie du jeu.

Une fois en cours d’itinéraire, le leader du groupe (tout groupe doit avoir impérativement un leader) devra régulièrement :

  • S’interroger sur la stabilité du manteau neigeux, et la pertinence de l’itinéraire et du mode de progression mis en place (notamment, espacement entre les membres du groupe) ; cette analyse tient compte des conditions de terrain (pente et orientation, configuration topographique), d’éventuels signaux d’alerte (existence de coulées naturelles, de ruptures à distance dans le manteau, de bruits suspects au sein du manteau, de signes d’activité éolienne).
  • S’inquiéter de l’état physique et moral des membres du groupe.

Nous vous mentirions si nous vous disions que cette expertise s’acquière en quelques sorties. Non, cela exige du temps, et une volonté pour apprendre (ce qui suppose que l’on reconnaisse que l’on ne sache pas suffisamment…) Pour plus d’informations, vous pouvez vous reporter aux documents techniques placés en ligne sur le site Internet d’un des auteurs de ce livre : http://securite-en-montagne.e-monsite.com/pages/supports-pedagogiques

En contrepartie, cet apprentissage est le garant de beaucoup de plaisir, et permet de développer une réelle proximité avec le milieu montagnard. Soyez certains que ces qualités trouveront un écho particulièrement favorables au cours de vos réalisations sportives estivales. Trop de traileurs sont trop peu montagnards, et se retrouvent en souffrance lorsque les conditions climatiques se durcissent au cours des trails. Les taux d’abandon explosent alors littéralement.

Un aspect très marquant de ces dernières années est le développement de la pratique du ski de rando sur les pistes des domaines de ski alpin. Pourquoi cet étrange retour vers le monde civilisé, alors que le ski de rando pousse à aller à la rencontre d’espaces sauvages ? Il y a plusieurs raisons à cela :

  • Tout d’abord, La pratique sur pistes écarte (quasiment) le danger d’avalanche, ce qui n’est pas rien. Attention toutefois, cette pratique expose aux collisions avec les skieurs alpins qui descendent. Une piste de ski n’est pas prévue à l’origine pour être remontée à contre sens. Cela exige de prendre beaucoup de précautions, en ne quittant pas l’extrême bordure de la piste. Il est inacceptable de voir parfois des skieurs de rando en train de zigzaguer en montée le long des pistes. Certaines stations, qui ont bien saisi l’intérêt qu’il pouvait y avoir à structurer cette pratique, ont développé des itinéraires spécifiques et sécurisés pour le ski de rando, se déroulant au sein du domaine, en évitant (ou limitant significativement) les risques de collision.
  • Ensuite, la pratique sur pistes (ou sur des itinéraires sécurisés) permet d’axer la séance plutôt sur les aspects sportifs que ceux relevant de la connaissance de la montagne. On peut se concentrer sur la qualité du geste technique, en termes de glisse et de poussée des bras. On peut réaliser des séances à fort impact, que ce soit en termes de dénivelés cumulés, ou d’intensité. Notamment, les séances se déroulant sur des sections raides vont permettre d’accroitre la puissance musculaire, et mobiliser à la fois les membres inférieurs (axe musculaire postérieur) et les membres supérieurs (poussée des bras).
  • Enfin, la commodité de cette pratique la rend accessible à beaucoup de sportifs. Un minimum de compétences préalables est requis. Outre la connaissance du matériel, en montée et en descente, il convient d’apprendre le geste de base en montée, puis les conversions ; si la descente se fait sur pistes damées, l’engagement technique reste assez limité. Très rapidement, le skieur devient autonome, et peut s’adonner à cette pratique à n’importe quel moment de la journée. De même, l’incidence des conditions météo est nettement plus modérée qu’en pleine montagne. Ne partez toutefois pas sans un sac à dos contenant le minimum d’équipements contre toute intempérie, et naturellement avec boissons et nourriture solide.

En définitive, le ski de rando sur domaines sécurisés permet de profiter d’un support gestuel plaisant, clairement sportif, mais qui se démarque nettement de la pratique sur terrains hors-pistes. Il serait donc dangereux de penser que le transfert de la première vers la seconde tombe sous le sens. La pratique du ski de rando en dehors du domaine sécurisé des stations requiert de réelles compétences, comme nous l’avons rappelé au-dessus, et une parfaite autonomie en montagne. Sous ces conditions, cette discipline réserve de très grandes satisfactions. Elle donne accès à des endroits sauvages, préservés, silencieux. Elle permet de goûter à des types de neige les plus divers, et de laisser sur l’Alpe une trace éphémère. Le ski de rando est probablement la discipline hivernale la plus proche du trail, tant par la nature de l’effort où la composante ascensionnelle est dominante, que par l’engagement au sein d’un milieu dont il faut connaître les déterminants. Pour tous ceux qui ont la chance d’habiter à proximité des régions de montagne, le ski de rando constitue clairement un mode pertinent de préparation hivernale. Permettant de laisser de côté les baskets, il va participer à l’amélioration des qualités d’endurance et de puissance aérobies. Se déroulant en pleine montagne, il développe une proximité réelle avec ce milieu, atout précieux dans la pratique du trail.

L’avènement du ski-alpinisme, format sportif de la pratique du ski de rando, a ouvert sur une discipline qui se définit comme le prolongement hivernal naturel du trail. Il est fréquent d’observer que les adeptes de ski-alpinisme sont également des traileurs convaincus ! Ce n’est pas sans raison que la très célèbre course de ski-alpinisme de la Pierra Menta, qui a lieu chaque année en mars dans le massif du Beaufortain, a vu naître récemment sa jeune sœur estivale, la Pierra Menta été : même terrain de jeu, même format (course en binôme, sur plusieurs étapes), et souvent mêmes participants.

Alors, amis traileurs, quand viendra la chute du thermomètre, pensez à farter vos skis ! Votre préparation dans la perspective de l’UTMB n’en sera que meilleure. Mais que ce soit en ski de fond ou en ski de rando, une formation préalable sera grandement recommandée, afin de bien suivre dès le début les bonnes traces…

Les autres disciplines de l’entrainement croisé

D’autres disciplines comme l’aqua-jogging, la natation, le rameur voire le fitness peuvent représenter un intérêt pour le coureur. Voyons cela en détail. 

  • Aqua-jogging : il consiste à reproduire le geste du coureur pied en piscine (ou en lac, mer). La flottaison est assurée par un gilet spécial. On peut commencer avec une simple ceinture avec flotteurs que l’on trouve dans tous les bassins. Demandez au maître-nageur. Placez les flotteurs devant et derrière pour ne pas être gêné sous les bras et essayez de garder une attitude de course. On a un peu tendance à se pencher en avant et à pédaler. Souvent pratiqué dans le cas de blessures liées aux impacts ou par les coureuses enceintes, on peut aussi concevoir l’aqua-jogging comme une vraie méthode d’entraînement croisé. Ce n’est pas réservé aux personnes âgées !
  • Natation : cette activité sollicite en priorité le haut du corps mais pas seulement : elle mobilise aussi un grand nombre de muscles des chaînes antérieures et postérieures, en nage ventrale ou dorsale. L’effort est réparti sur l’ensemble du corps : jambes, fessiers mais aussi ceinture pelvienne, épaules, dos et bras. Elle favorise le développement des muscles respiratoires. Sans impact, elle peut parfaitement compléter votre entraînement dans les périodes de grosses charges, lorsqu’il fait très chaud ou en récupération active. N’hésitez pas à varier les plaisirs : nage avec palmes, jambes seules, utilisation de plaquettes/pull-buoy pour renforcer les muscles du haut du corps. 
  • Rameur ergomètre : un peu comme la natation, cette activité recrute un grand nombre de masses musculaires, elle est donc intéressante pour le respect de l’équilibre général de la musculature. Attention toutefois aux genoux et au dos pendant les séances trop intenses. Pensez à garder le dos droit. Avantage par rapport à la natation et l’aqua-jogging : il est très facile d’avoir un ergomètre chez soi. 
  • Roller : sur le plan physiologique et ludique, cette activité pourrait être conseillée. Néanmoins, les rollers en ligne modernes ont des résistances à l’avancement très faibles, il est donc facile de prendre de la vitesse, ce qui a deux conséquences : d’une part cela diminue les sollicitations cardio-respiratoires, et d’autre part cela augmente les risques de blessures en cas de chute. A réserver aux personnes expertes dans ce sport.
  • Fitness : tous les cours collectifs que l’on peut trouver en salle, bien que souvent dédaignés par le coureur qui estime (à juste titre) ne pas avoir besoin de cela pour se dépenser, sont plutôt intéressants. Que ce soit les séances de cardio-training ou de renforcement musculaire (abdos, fessiers, etc.). Pardon, où ai-je la tête ? Je voulais parler de body balance, Raw Power in Motion, body pump, etc. ; enfin tous ce qui sonne américain. Bien sûr, on peut faire ce type d’exercice tout seul dans son salon mais si la motivation fait défaut, pourquoi ne pas profiter de l’effet de groupe. On peut aussi trouver dans ces salles différents ergomètres (tapis roulant, vélo elliptiques, rameurs, etc.) qui permettent de travailler individuellement, même quand il fait -20°C dehors. Inconvénient : le prix de l’abonnement. 
  • Sports collectifs et de raquettes : disons-le tout net, c’est risqué. Bien sûr si vous êtes un ancien joueur de tennis, de squash ou de volley-ball, vous serez tenté de pratiquer si l’occasion de présente. Mais attention aux blessures. 
  • Macramé, bridge, concours de mangeur de boudins : pourquoi pas si ça vous fait du bien à la tête. Et puis le boudin, c’est plein de fer. 

 

Les séances mixtes

En dehors des entraînements dans d’autres disciplines que la course à pied, il est possible de combiner vélo et course, musculation et course voire même, comme Sébastien Chaigneau, ski de fond et course. Nous avons déjà évoqué les séances des bike and run, voici d’autres exemples de séances mixtes qui peuvent même, lorsqu’on allonge un peu les durées, être intégrées dans les week-ends chocs : 

  • 3 à 4 h de vélo (fréquence de pédalage élevée) enchaînées avec une séance de course à pied 
  • l’inverse : 2 à 3 h de course à pied enchaînées avec une longue sortie en vélo (plus en force). 
  • enchaînement d’une séance de musculation, si possible avec un peu de travail excentrique (à condition d’être habitué à la musculation) avec une sortie de course à pied longue. Ceci permet de courir sur une base de pré-fatigue musculaire. 

Ces séances sont particulièrement utiles au traileur des plaines qui souhaite préparer un ultra-trail en montagne.

Educatifs course à pied

Conseils Montée

ConseilS Descente

ENTRAINEMENT AU PLAT PAYS POUR UN TRAIL EN MONTAGNE

Par Roger Igo 

 Préambule : Je suis toujours partisan de bien scinder les besoins et de ne travailler, le plus souvent, qu’un thème sur la séance. Ceci permet d’offrir à l’organisme un stress clair afin d’avoir une ‘réponse’ claire. C’est pourquoi, même pour le trail, je n’insère qu’une difficulté principale dans ces séances ‘montagne’ et non un cumul travail intense en côte + longue sortie.

Séances sur piste :

Pour la préparation montagne sur piste, j’effectue des exercices de pré-fatigue suivis d’un effort de course. L’exercice le plus difficile (donc à la fin de la progression ci-dessous) consiste, selon le niveau, en une série de 8 à 12 × 30 s de montées de genoux sur le tapis de saut à la perche (c’est le plus mou et donc le plus épuisant), descendre et trottiner 30 s puis 400 m à VMA. Finir par un passage de 3 × 10 haies à +/- 40 cm du sol (le levé des jambes est très pénible). Double difficulté : au départ du 400 m, le coureur s’effondre sur ses appuis comme il peut aussi le ressentir en fin de côtes et à chaque changement de dénivelé. Par contre sur les haies, il doit s’arracher pour arriver à lever les pieds, ce qu’il ressent également en montagne lorsque le dénivelé devient plus fort.

Progression :

– lieu des montées de genoux (sol, puis sable, puis tapis de saut en hauteur, puis de saut à la perche)

– nombre de montées : pendant 15 s, 20 s, … mais toujours sur un rythme rapide

– alterner l’augmentation du nombre d’exécutions et du rythme (du seuil vers la VMA)

– introduire progressivement les haies.

Séances hors –piste :

  1. Endurance en tout terrain, courir au maximum le long des champs en bordure de route. Lorsque la récolte s’est faite, il y a moyen de courir dans le champ lui-même avec accumulation de boue sous les chaussures (impression d’avoir des sabots aux pieds) qui rend la course presque impossible.
  2. Escaliers : nombre d’exécutions en fonction des possibilités du parc, du stade, mais toujours avec accélération de 50 à 200 m avant et sprint de 10 m à 50 m au sommet. En ville, escaliers urbains : montée de deux paliers, redescendre (en oblique), remonter de trois paliers, redescendre, idem pour 4 paliers et ainsi de suite.
  3. Côtes longues (minimum 10% et 800 m, pas de maximum de pente évidemment)
  4. Côtes moyennes (minimum 8% et 400 m) : en VMA 15 s-15 s : monter 15 s, redescendre 10 s, reprendre la côte (5 s) et repartir. Séries en fonction de la côte, maximum de 120 × 15 s-15 s (selon niveau).
  5. Côtes courtes (minimum 10% et 150 m) où on retiendra trois points marquants : sommet, pied de la côte et un point à 50 m du sommet. On peut distinguer deux types d’effort : côte en sprint sur 50 m et côte au seuil sur la grande longueur. Récupération : trottiner sur les 50 premiers mètres de descente, endurance active ensuite lorsque l’on rejoint le pied. Séries : alterner les côtes ‘sprint 50 m’ et les côtes ‘seuil 100 à 200 m’’

Progression :

– Effectuer 3 séries de 2 fois ‘côte sprint-côte seuil’. Récupération entre les séries : 3 min en endurance fondamentale.

– Progresser vers 3 × l’équivalent de séries de 7 min d’effort montées/descentes.

gainage et abdos/lombaires

circuits training

Musculation lourde

La musculation en salle, avec charge lourde, peut représenter un intérêt pour préparer les membres inférieurs à encaisser les chocs en descente et gagner un peu de puissance en montée. Il convient néanmoins d’être très prudent eu égard aux pathologies que peuvent amener par exemple des gestes mal maîtrisés avec des charges lourdes ou des efforts inadaptés en début de cycle. Débuter avec un spécialiste semble une bonne idée. Attention, ne vous adressez pas à un préparateur physique qui ne connaît que la musculation : il faut qu’il ait aussi une petit culture course à pied, si possible ultra. Il existe quand même un fossé entre un spécialiste de musculation et un coureur de trail. Les traileurs qui sont vraiment allergiques aux séances de musculation en salle pourront utiliser le vélo pour travailler la force maximale (exemple : 10 × 1 min assis sur la selle avec un très gros braquet, récupération = 3 min en moulinant).

Il existe de potentiels effets néfastes à la musculation lourde, en particulier ceux liés à la prise de masse musculaire (cf. ci-dessus). Il faut absolument individualiser en fonction de votre gabarit et de votre vécu sportif. Certains athlètes très longilignes tireront sans doute bénéfice d’une légère prise de masse maigre sur les jambes alors que d’autres déjà ‘massifs’ doivent veiller à éviter toute hypertrophie. Cela est possible, à condition de bannir toutes les séances dites de culturiste (cf. encadré D+ : les efforts répétés) pour se centrer soit sur des charges plus légères mobilisées de façon explosive, soit au contraire sur des charges très lourdes (respectivement les efforts dynamiques et maximaux). Dans tous les cas, l’objectif doit être d’acquérir un optimum et non un maximum de force. Et puis il faut raison garder : ce n’est pas en allant pendant deux mois trois fois par semaine en salle de musculation que vous en ressortirez boby-buildé ! D’autant plus que la pratique concomitante de l’endurance inhibe l’hypertrophie pour des raisons complexes que nous ne détaillerons pas ici. La deuxième crainte du sportif d’endurance est celle de voir ses fibres se transformer de lentes en rapides. N’ayez aucune inquiétude à ce sujet. La musculation, même intensive, ne peut pas diminuer le pourcentage de fibres lentes de façon significative. En effet, la seule façon de perdre des fibres lentes, c’est … de ne rien faire ! C’est ce qui se passe chez les cosmonautes en apesanteur ou chez les rats suspendus par la queue (et pas l’inverse). 

C’est du lourd

L’école russe, en particulier Vladimir Zatsiorsky, a posé les bases d’une classification des méthodes de musculation avec charge. En concentrique, il est habituel de différencier trois types d’effort dont les caractéristiques sont données dans la figure et le tableau ci-dessous :

Les méthodes de développement de la force concentrique (selon Zatsiorsky)

Plus précisément, ces trois types d’efforts sont les suivants :

Principales caractéristiques des 3 méthodes définies par Zatsiorsky

Efforts

% du maximum

Nombre de répétitions

Nombre de séries

Vitesse / Intensité

Temps récupération

Maximaux

85-100

1-5

3-5

Basse

3 à 5 min

Répétés

70-85

6-12

3-10

Basse

2 à 4 min

Dynamiques

30-40

6-10

3-5

Max

4 à 6 min

La méthode des efforts répétés est celle qui entraînera la prise de masse musculaire la plus élevée. 

On peut aussi combiner dans une même séance différentes charges sous forme de pyramides descendante (exemple : 1 × 95% – 2 × 90% – 3 × 95% – 4 × 80% – 6 × 75%) ou montante et même combiner des charges lourdes et légères dans la même série : c’est ce que l’on nomme la méthode Bulgare. Par exemple, vous pouvez enchaîner des séries de 3 squats à 90% du maximum avec 3 sauts verticaux. On peut aussi combiner différents types de contractions dans une même série voire dans une même répétition. C’est ce que l’on appelle le stato-dynamique ; exemple : une série de squats sur une jambe et bloquer à chaque répétition quelques secondes (soit à la montée, soit à la descente, soit à la montée et à la descente) à un angle du genou qui correspond à celui de la pose de l’appui au sol en descente (angle assez ouvert).

Les charges sont exprimées dans le tableau ci-dessus en pourcentage du maximum. Vous pouvez déterminer ce maximum directement par essai-erreur en chargeant/déchargeant progressivement une barre. Mais cela implique de se frotter à des poids très lourds, c’est assez risqué si vous n’êtes pas expert. Une autre solution, moins précise mais moins dangereuse, consiste à utiliser une méthode indirecte basée sur la relation linéaire entre le nombre de répétions possibles et le pourcentage du maximum : 

Nb répétitions

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

% Max

100

97,5

95

92,5

90

87,5

85,5

83,5

81

79

Par exemple, si vous êtes capable de soulever 8 fois (mais pas plus) une barre de 70 kg, votre charge maximale théorique sera de : 70 / 83,5 = 84 kg.

On peut aussi utiliser l’équation suivante : 

Charge maximale = charge soulevée / [1,0192 – (0,02333 × nombre de répétitions)]

(le nombre de répétitions doit rester ≤12)

Tous les groupes musculaires des membres inférieurs doivent être sollicités, soit pour une question de prévention de blessures, soit pour améliorer leur résistance à la fatigue. Naturellement, nous aurions tendance à privilégier les quadriceps car ce sont les muscles qui nous font le plus souffrir en ultra mais les mollets (Fourchet et al., 2012; Martin et al., 2010; Millet et al., 2011) et même les ischios-jambiers (Koller et al., 2006) se fatiguent lors de la course prolongée. Le haut du corps bien que non prioritaire, peut aussi être travaillé en musculation, bien sûr chez ceux qui utilisent des bâtons mais aussi, pour tout le monde, dans le but de rétablir certaines postures (par exemple renforcement des fixateurs de l’omoplate).

L’électrostimulation

(Avec la collaboration du Pr Vincent Martin, Université de Clermont-Auvergne)

Dès le début des années 70, les Russes ont utilisé l’électrostimulation pour augmenter la force de leurs athlètes. Depuis, cette technique s’est largement répandue dans le milieu sportif. Est-ce mérité ? Commençons par la force. Classiquement, les programmes d’entraînement pour développer cette qualité physique comprennent des stimulations à haute fréquence (75 à 125 Hz, c’est-à-dire 75 à 125 impulsions électriques par seconde). L’effet recherché est, logiquement, de maximiser la force produite. Ce premier objectif est-il atteint ? Oui, plusieurs études ont démontré que la force musculaire des athlètes pouvait augmenter après quelques semaines d’entraînement en électrostimulation. Mais avec une grande variabilité de gains de force entre les études. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’efficacité du programme d’entraînement en électrostimulation dépend de plusieurs caractéristiques : 

  • nombre de séances, de séries et de répétitions ainsi que le temps de récupération (comme pour tout entraînement en somme)
  • type de stimulateur et de courant (intensité, durée, fréquence)
  • anatomie et physiologie : placement des électrodes (localisation des points moteurs), masse grasse, etc.
  • niveau de départ des sujets. 

Mais le facteur qui conditionne le plus l’efficacité d’un programme d’électrostimulation musculaire est le niveau de force produit par la stimulation, qui dépend en grande partie de l’intensité du courant que l’on est capable de supporter. Globalement, plus l’intensité est élevée, plus le niveau de force évoqué est important. Ceci génère obligatoirement des sensations inconfortables voire douloureuses. Si on s’arrête dès que ça commence à chatouiller, on n’a aucune chance de gagner de la force. En passant, cela permet de tordre le coup à l’idée selon laquelle l’électrostimulation est réservée aux fainéants qui n’ont pas le courage de faire de la musculation traditionnelle. 

A ce propos, l’électrostimulation est-elle mieux ou moins bien que la musculation traditionnelle ? Premier élément, tout le monde n’a pas le temps de se rendre en salle de musculation. L’électrostimulation a donc indéniablement un côté pratique. Mais si l’on compare les effets de programmes d’entraînement en force classique et en électrostimulation, les gains sont presque toujours plus faibles en électrostimulation. Pas terrible. Sauf que l’idée n’est pas de choisir mais d’utiliser les deux méthodes qui se complètent parfaitement, notamment parce que les fibres musculaires sollicitées ne sont pas les mêmes en contraction volontaire (la musculation classique) et en électrostimulation (Hainaut et Duchateau 1992).

Il existe d’autres différences entre les deux méthodes. Au cours de la contraction volontaire, notre système nerveux gère intelligemment les différentes fibres musculaires en organisant des rotations dans leur rythme de travail. Ceci dans le but de ménager des périodes de récupération pour certaines fibres, et ainsi diminuer la fatigue musculaire. A l’inverse, le stimulateur électrique délivre des impulsions constantes, qui stimulent toujours les mêmes fibres, c’est-à-dire les fibres situées à proximité de l’électrode de stimulation. A haute intensité et haute fréquence de stimulation, comme c’est le cas dans les programmes d’entraînement en force, ce régime de travail stéréotypé fatigue assez rapidement les fibres musculaires. A tel point que l’électrostimulation peut parfois créer des microlésions au niveau des fibres, à l’image de ce que subissent nos muscles lorsque l’on court en descente pendant des durées prolongées. Attention donc aux courbatures, le principe de progressivité doit être appliqué en électrostimulation. Ces microlésions sont en général bénignes et leur réparation est assurée par une réaction inflammatoire. Le bon côté des choses, c’est que l’effet protecteur (voir l’encadré sur ce phénomène au chapitre 1) existe également en électrostimulation. Ainsi, répéter des séances d’électrostimulation en force permet non seulement d’augmenter sa force maximale, mais pourrait également être un moyen de générer un effet protecteur au niveau du muscle. Un bémol toutefois : l’effet obtenu sera moins puissant que ce que l’on peut obtenir en accumulant du dénivelé négatif. Le fait de placer le muscle dans une position plus étirée favorisera l’apparition des microlésions et donc l’efficacité de l’effet protecteur ultérieur. Par contre, les programmes d’endurance ne sont pas suffisants pour induire ce type d’adaptation musculaire (Patel et al., 1998). Avec le programme endurance, on améliore d’autres qualités musculaires (cf. encadré ci-dessous) mais pas la résistance aux dommages. Pour le coureur de plaine, l’électrostimulation à haute fréquence (programmes force) pourrait être une solution pour compenser en partie le manque de dénivelé. C’est par exemple ce qu’avait utilisé le coureur breton Stéphane Grivel lorsqu’il a décroché une belle 6e place à l’UTMB® 2006.

En pratique, veillez à planifier les cycles d’électrostimulation à distance des objectifs, c’est-à-dire au minimum deux mois avant, et à alléger l’entraînement dans les 10 à 15 jours suivant le cycle d’entraînement. Si l’on souhaite progresser en force sans prendre trop masse musculaire, il faut se limiter à des cycles courts (4 semaines). Si au contraire, vous estimez que votre masse musculaire est insuffisante pour être performant en trail, poursuivez le cycle d’entraînement jusqu’à 8 semaines, délai nécessaire pour augmenter (un peu, ne rêvez pas) la taille de vos muscles. N’hésitez pas à coupler ces séances d’entraînement en force avec des séances de musculation spécifique ou des séances de bondissements afin de transférer au maximum les acquis de votre préparation musculaire dans votre pratique du trail.

Pour l’endurance aussi

L’application d’un courant électrique sur le muscle induit une réponse comparable à ce que peut produire le cerveau. Comparable mais pas exactement similaire. En effet, lorsque le cerveau commande au muscle de se contracter doucement, seules les fibres lentes sont recrutées. Puis, si l’on augmente la force de façon volontaire, les fibres rapides vont être progressivement sollicitées. Sous électrostimulation musculaire, cette loi de recrutement n’est pas respectée et certaines fibres rapides peuvent déjà se contracter à de faibles niveaux de force. On conçoit que cela puisse être intéressant pour le sprinter qui peut ainsi facilement travailler ses fibres rapides mais quel est l’avantage pour le coureur d’endurance ? D’un point de vue théorique, on sait que la nature des informations que reçoit le muscle modifie sa composition. Ainsi, des muscles soumis à une basse fréquence de stimulation (10-15 Hz) deviennent plus lents, plus endurants et plus oxydatifs. Jusqu’à présent, les études ont été principalement conduites sur des animaux soumis à des régimes d’électrostimulation 24h/24 pendant plusieurs semaines. Néanmoins, en raison de la capacité de l’électrostimulation à recruter des fibres rapides à faible niveau de force, on doit pouvoir rendre ces fibres plus endurantes si on utilise une basse fréquence de stimulation même quelques heures par semaine (Patel et al., 1998). De rares études conduites sur l’homme permettent de ne pas rejeter cette hypothèse (Gauthier et al., 1992; Nuhr et al., 2003; Theriault et al., 1996). Cette forme d’entraînement ne saurait remplacer une bonne sortie en plein air. Néanmoins, toujours pour des raisons de fibres musculaires recrutées différemment, l’électrostimulation peut constituer un bon complément à un programme d’entraînement aérobie classique, ou s’y substituer lorsque l’on est au repos forcé, par exemple en cas de blessure. A ce titre, des études récentes montrent le remplacement d’une séance de course à pied par une séance d’électrostimulation corps entier (à l’aide de combinaisons de stimulation portées pendant l’exercice) combinée à des exercices volontaires de type renforcement musculaire, permettent d’améliorer des facteurs de la performance en course à pied, comme la consommation maximale d’oxygène, les seuils ventilatoires ou encore l’économie de course (Amaro-Gahete et al. 2018a). Ces gains peuvent même être majorés quand les exercices combinés à l’électrostimulation sont spécifiques à la course à pied (Amaro-Gahete et al. 2018b). Si vous n’êtes pas fan d’enfiler une combinaison pour vous faire stimuler pendant votre séance d’entraînement (ce n’est pas complètement neutre et peu même avoir quelques effets secondaires), rassurez-vous, l’usage de l’électrostimulation classique, avec des électrodes stimulant uniquement les muscles des membres inférieurs (quadriceps, mollets), combinée avec un entraînement en course à pied, semble également être en mesure d’améliorer les facteurs de la performance en course à pied (da Mota Moreira et al. 2022). Reste cependant à savoir si ces gains de performance, majoritairement observés chez des coureurs récréatifs, sont envisageables à plus haut niveau de pratique.

Bien sûr, il est illusoire de vouloir gagner sur tous les tableaux. Ainsi, les qualités de puissance ainsi que les aptitudes anaérobies sont altérées à ce régime. Ceci n’est pas dramatique pour un ultra-traileur. Tout dépend donc de la fréquence de stimulation à laquelle sont soumis les muscles. C’est essentiellement ce qui change lorsque vous utilisez les programmes ‘endurance’ ou ‘force’ des stimulateurs. Dans un cas, on est à 10-15 Hz et dans l’autre, à 75-125 Hz. Souvent, on associe stimulation à basse fréquence avec sollicitation de fibres lentes et stimulation à haute fréquence avec sollicitation de fibres rapides. Et bien c’est faux, les deux facteurs sont indépendants. 

Reste l’aspect éthique. Certains entraîneurs acceptent l’électrostimulation uniquement comme moyen de rééducation. Dans le monde du trail, le côté artificiel de cette méthode, comme celle des tentes hypoxiques, passe mal. Mais les mentalités évoluent. Une chose est sûre : traiter les amateurs d’électrostimulation de dopés n’a absolument aucun sens. 

Conseils proprioception

CONSEILS STRETCHING

Questionnaires sommeil

L’entraînement en altitude

Par le Pr Grégoire Millet, Université de Lausanne

L’ouvrage de référence sur la médecine et la physiologie de l’altitude est le livre de Jean-Paul Richalet et Jean-Pierre Herry : Médecine de l’alpinisme et des sports de montagne (Richalet et Herry, 2006). Il en est déjà à sa 5e édition. Mais ce livre, aussi pertinent soit-il pour l’alpiniste potentiellement exposé aux pathologies liées à l’altitude, ne concerne pas directement l’ultra-traileur. Sauf bien sûr celui qui participe à une course himalayenne telle que l’Annapurna Mandala Trail, l’Everest Sky Race ou l’Himal race, organisés par Bruno Poirier ou encore le Solukhumbu Trail ou le trail des 3 Vallées de Dawa Sherpa. Dans ces courses, il arrive que l’on court à plus de 5000 m. Ce n’est pas le cas des trails européens et américains où l’on reste le plus souvent à des altitudes inférieures à 2500 m. Et encore, dans la plupart des cas, on ne fait qu’y passer le temps de franchir un col. Il arrive parfois que les cols soient situés à une altitude supérieure à 3000 m (sur le Tor des Géants par exemple). Plus rarement encore les sentiers franchissent les 4000 m. C’est le cas, de la Hardrock 100 mile Endurance Run. Sur la Leadville 100, on n’atteint pas cette limite (point haut = 3850 m) mais l’altitude moyenne de la course est à 3000 m (Allison, 2002).

Bref, la plupart du temps, l’ultra-traileur n’est pas en haute altitude. Alors pourquoi faire un chapitre dans ce livre ? Tout simplement car l’altitude est aussi un procédé d’entraînement pour le sportif d’endurance. Si l’altitude vous intéresse car vous souhaitez intégrer l’entraînement en hypoxie dans votre préparation pour une épreuve d’ultra ‘classique’, je vous conseille plutôt de vous procurer le livre de Grégoire Millet et Laurent Schmitt : S’entraîner en altitude. Vous y trouverez un mélange de conseils pratiques et de données scientifiques à jour pour optimiser votre préparation en altitude.

Ici, nous allons uniquement reprendre les bases de ce type d’entraînement qui est pratiqué essentiellement par quelques coureurs de haut de classement même si chacun, s’il en a l’occasion, pourra y trouver un intérêt. Mais au fait, est-ce si évident que cela ? Est-ce que la performance sera réellement bonifiée après un entraînement en altitude ? S’acclimater en altitude lorsque l’on doit courir une compétition à plus de 2500 m semble assez évident mais si la course se déroule plus bas ? Pour un UTMB® par exemple, dont l’altitude moyenne est de 1650 m. Pour tenter d’y voir plus clair, nous allons différencier les ultra-trails en plaine et ceux courus à moyenne altitude.  

Pour un ultra-trail en plaine

Doit-on recommander une préparation en altitude pour une épreuve de grand fond se déroulant au niveau de la mer ? Question difficile. En effet, suite à une période de plusieurs jours en altitude modérée (idéalement de 18 à 28 jours à une altitude entre 2200 et 2500 m), on observe des adaptations ventilatoires, neuromusculaires et métaboliques qui ne sont pas toutes favorables à la performance lors de l’exercice prolongé. Il n’y a par ailleurs aucune étude scientifique validant si une préparation en altitude ‘classique’ c’est-à-dire de type LHTH (Live High Train High ; vivre en haut et s’entrainer en haut) est réellement efficace pour des exercices de plusieurs heures, en particulier en course à pied où la fatigue musculaire est un facteur clé de la performance comme nous l’avons vu au chapitre 1. On sait aussi que suite à ce type de stage en altitude, il y a une succession de périodes potentiellement favorables et défavorables à la performance. On ne sait pas encore bien l’expliquer mais le fait demeure. On observe généralement des effets positifs pendant 4-5 jours après la redescente puis, dans une 2e phase, on décrit plutôt une diminution de performance (de 5 à 12-15 jours après le retour en plaine). Là, on pense que cela est dû à une altération du coût énergétique, sans doute en raison de moins bonnes qualités neuromusculaires induites par la course en altitude où on a modifié sa coordination en raison d’entraînements plus lents qu’à l’accoutumée. Ceci induit une désorganisation motrice qui nécessite plusieurs jours pour être recalibrée. D’une façon générale, on sous-estime souvent ces facteurs techniques. Lors de la 3e phase (après 12-15 jours, jusqu’à 28-30 jours) qui est de nouveau bénéfique, l’amélioration de ces facteurs neuromusculaires combinée avec les premiers effets en termes d’amélioration du transport de l’oxygène (production de globules rouges par la moelle osseuse sous l’effet de l’érythropoïèse ; la fameuse EPO) et le maintien d’adaptations respiratoires favorables pourrait expliquer cette amélioration de la performance. Toutefois, il convient d’être prudent pour recommander ce type de préparation pour tout un chacun en ultra-trail. Déjà parce qu’il n’existe pas d’étude sur les effets d’une préparation en altitude pour ce type d’effort très particulier. Nous en avons suffisamment parlé au chapitre 1. Or deux adaptations

physiologiques sont susceptibles d’être contreproductives pour les ultra-traileurs. D’une part, l’altitude induit une augmentation de la consommation de glucides à l’exercice au détriment des graisses avec les problèmes d’hypoglycémie que l’on peut imaginer. Ensuite, la fatigabilité musculaire peut potentiellement être diminuée lors d’exposition prolongée en altitude. Gare à la course à descente. Nous recommandons donc ces stages LHTH en période foncière, éloignée des compétitions. Se pose alors la question de trouver des sites en montagne permettant la course à pied. Autant dire que ça ne concerne que les traileurs qui vivent en montagne ! Alors, pensez-vous peut-être, pourquoi nous baratinent-ils avec l’entraînement en altitude ? 

La méthode « traditionnelle » LHTH est souvent utilisée pour s’acclimater avant une compétition à disputer en altitude. Cette méthode insiste sur de possibles bénéfices hématologiques; c’est-à-dire une augmentation de la masse en hémoglobine (Hbmass), qui se traduit le plus souvent par une augmentation de la consommation maximale d’oxygène (VO2max). Les camps d’entraînement LHTH efficaces requièrent généralement de résider en altitude pendant ~3-4 semaines (Bonetti et Hopkins, 2009).

Il existe fort heureusement une autre solution pour préparer un trail en plaine : la méthode LHTL (Live High Train Low ; vivre en haut et s’entrainer en bas). Il s’agit de loger en altitude (modérée, idéalement autour de 2500 m) pendant une période de 15 à 21 jours et de s’entraîner à des altitudes plus basses (< 1500 m). La figure ci-dessous différencie les différentes méthodes d’entrainement en altitude. Elle est tirée du livre publié en 2019 par Grégoire Millet et Olivier Girard (Je bouge.. en altitude pour améliorer mes performances et ma santé. Ed. Médecine et Hygiène, ~130 pages). Pour LHTL, l’entrainement intense sera effectué essentiellement aux altitudes les plus basses. Pour réussir ce type de préparation, il faut choisir son lieu de stage avec attention car les allers-retours entre montagne et vallée peuvent être fatigants. Une chose est certaine : LHTL est la méthode présentant le moins de risques et la plus efficace, à condition de bien gérer sa fatigue. Des études évaluent jusqu’à 5% le bénéfice additionnel sur marathon (Chapman et Levine, 2007) par rapport à un entrainement similaire au niveau de la mer. Il est peu probable que les gains soient aussi nets en ultra-trails mais à partir d’un certain niveau, chaque pourcentage de gain compte. La 2e certitude est qu’il vaut toujours mieux essayer de réaliser ce type de préparation par ‘méthode terrestre’ c’est-à-dire en voyageant entre lieu d’hébergement en altitude et lieu d’entraînement en plaine plutôt que d’utiliser des méthodes en ‘altitude simulée’ comme les chambres ou les tentes hypoxiques. Ces méthodes sont parfaitement légales, ne présentent aucun problème éthique ou risques pour la santé. Elles sont simplement moins efficaces que les méthodes en altitude réelle ! Elles sont néanmoins utilisées par quelques-uns des meilleures ultra-traileurs.

Depuis les travaux originaux de Levine et Stray-Gundersen (1997), cette méthode LHTL (12 h.jour-1 sur une période minimum de 2 semaines) est généralement reconnue comme la méthode « référence » dans les sports d’endurance et est également de plus en plus utilisées en sports collectifs (Girard et al., 2013). Le succès de cette stratégie réside dans l’effet érythropoïétique (soit la production d’érythrocytes ou globules rouges stimulée par l’érythropoïétine ou EPO) suite à une exposition hypoxique chronique (> 5-7 jours) initiée par le fait de résider à une altitude naturelle ou simulée, tout en maintenant une intensité d’entraînement élevée (flux en O2) au niveau de la mer (Wilber et al., 2007). Une récente méta-analyse indique que Hbmass augmente de ~1% pour 100 h d’exposition en altitude/hypoxie, quel que soit le type d’exposition [LHTH (>2100 m) ou LHTL (~3000 m)] (Gore et al., 2013). 

Une arme à double tranchant

Attention, si un entraînement en altitude bien conduit peut être un plus, réaliser ce type de stage, c’est aussi prendre des risques. Les pièges sont nombreux. Essayons d’en déjouer quelques-uns. D’abord, il faut absolument veiller à ne pas commencer une préparation en altitude en étant fatigué car l’hypoxie est un stress supplémentaire. Idéalement, il convient aussi de vérifier qu’on ne présente aucune carence en fer en faisant doser par son médecin la ferritine plasmatique. Aussi, ne jamais réaliser son premier stage en altitude pour un objectif majeur car il est très difficile d’anticiper ses réactions individuelles. S’entrainer en altitude demande une grande expérience et un apprentissage ! Ne pas hésiter à diminuer le programme d’entraînement, en particulier lors de la phase d’acclimatation, c’est-à-dire les 5 à 8 premiers jours. 

Il convient aussi de ne pas aller ou rester en altitude lorsque l’on est malade car les défenses immunitaires sont mises à rude épreuve : le risque d’infection est multiplié par 2 ou 3 à partir de l’altitude de 1 800 m. Cela se manifeste par des infections de la sphère ORL ou par des problèmes gastriques. De plus, l’air sec entraîne une sécheresse des muqueuses, caractère aggravé par

l’hyperventilation induit par l’altitude. La déshydratation est plus importante. Veillez à boire encore plus que d’habitude. Comme pour l’exercice dans la chaleur (voir chapitre 6), surveillez votre poids (une variation de plus de 1,5 kg d’un jour à l’autre doit vous alerter) et la couleur de vos urines (cf. chapitre 6). Pensez aussi que vous êtes en montagne et donc à bien vous couvrir pendant mais surtout en dehors de l’entrainement.

La fatigue musculaire est plus importante (voir par ailleurs) et la récupération plus longue, ce qui nécessite de réduire le travail trop sollicitant susceptible d’induire des dommages musculaires lors de la phase d’acclimatation. On pense bien sûr surtout à la course en descente. Il faut prévoir des périodes de récupération plus importantes que celles généralement allouées en plaine. Enfin, nous l’avons déjà évoqué, la proportion de glucides oxydés est augmentée. Il faut donc veiller à se ravitailler à l’entrainement plus régulièrement qu’en plaine. Le risque de surentrainement est augmenté car le stress dû à l’entraînement et le stress hypoxique s’ajoutent. Il ne faut donc pas hésiter à diminuer les allures d’entraînement, allonger les récupérations (au minimum de 30% par rapport au même entraînement réalisé en plaine) lors des séances d’interval-training.

Pour un ultra-trail à altitude modérée

La performance sur des ultra-trail à altitude modérée (2000 à 3000 m) est dépendante du niveau d’acclimatation de l’athlète. Cette acclimatation se fait à tous les niveaux : respiratoire, cardiaque, neuromusculaire et nécessite d’exposer l’organisme à un stress hypoxique, idéalement en séjournant plusieurs fois deux semaines minimum à une altitude correspondant à celle rencontrée pendant la compétition. Par exemple, pour l’UTMB®, deux ou trois séjours de 15 jours minimum à une altitude de 2000-2500 m constitue une préparation efficace. Evidemment, ce n’est pas facile à caser dans un emploi du temps. Si vous ne pouvez le faire qu’une fois, c’est mieux que rien. Par exemple, dans la planification présentée dans la figure 5.10, placez ces 15 jours à S-5 et S-4. Si vous pouvez faire 3 semaines, placez-les de S-6 à S-4. Vous redescendrez au moment de commencer l’affûtage. Les recommandations énoncées dans l’encadré ci-dessus sont évidemment toujours d’actualité, surtout si on n’a pas l’expérience de ce type d’entraînement. 

En cas d’impossibilité de séjourner en montagne, on peut utiliser une ‘tente hypoxique’ qui permettra une pré-acclimatation relative. Attention toutefois à ces équipements car le sommeil peut être dégradé. Les plus joueurs pourront aussi utiliser une méthode d’hypoventilation à l’exercice qui reproduira certains effets de l’hypoxie : en réduisant volontairement sa fréquence respiratoire et en maintenant sa respiration (temps d’apnée) à de bas volumes pulmonaires, on peut en effet diminuer la quantité d’oxygène transporté par le sang comme c’est le cas en altitude (Woorons et al., 2007). Les évidences sur l’efficacité de cette méthode ne sont tout de même pas légions. En résumé, nous recommandons des stages LHTH ou LHTL en période précompétitive pour des trails à altitude modérée. D’autant plus que le terrain d’entraînement y sera le plus souvent adapté pour un entraînement spécifique. C’est donc presque un passage obligé.

La carrière de Christian Mauduit

Le confortoscope

Également appelé body scan (scanner corporel), le check-up de détente est une activité qui invite au relâchement musculaire. Il va simplement s’agir de passer en revue les différentes parties de son corps en prenant conscience de l’état de tension-détente, et systématiquement de décontracter autant que l’activité musculaire du moment le permet. La règle d’or est simple : tout muscle pris en flagrant délit de tension inutile sera irrémédiablement relâché. Outre le fait, cher aux physiologistes, d’économiser de l’énergie (voir la partie coût énergétique au chapitre 1), il s’agit également de focaliser l’attention, ce dont on connaît les effets bénéfiques sur la gestion de la douleur, la fatigue ou le stress. Le relâchement musculaire (et la respiration) sont les bases de la plupart des pratiques corporelles traditionnelles (Médecine Taoïste, Yoga, Taï Chi, Chi Qong). Effectué en situation non dynamique, le check-up de détente est un outil qui favorise l’état de relaxation. C’est, en sophrologie, un des outils de base pour atteindre le seuil sophro-liminal (premier stade de l’endormissement).

Exemple 

Si vous avez vu une seule fois dans votre vie, une finale de 100 m aux Jeux Olympiques, vous savez ce que signifie l’expression relâchement musculaire. Certes nous ne sommes pas des sprinteurs, et la comparaison avec notre pratique s’arrête probablement là. Cependant, cette capacité à relâcher les muscles ‘inutiles’ et les muscles antagonistes est importante.

En pratique

Pendant que vous êtes en train de lire ces quelques lignes, et quelle que soit votre position, portez simplement votre attention aux différentes parties de votre corps qui sont tendues inutilement. Relâchez-les et laisser la détente s’installer pendant que vous continuez votre lecture confortablement. Vous pouvez aussi faire l’essai de contracter volontairement un muscle actuellement au repos pendant une trentaine de secondes puis de le relâcher et de ressentir la différence. Saisissant non ?

Réaliser le check-up en prévention est probablement une bonne idée. En pratique le check-up de détente s’effectue surtout dans les moments de moins bien. Repérez le passage dans lequel vous commencez à éprouver les premiers signes de douleur, fatigue. Et en partant du bout des pieds jusqu’au sommet du crâne passez en revue chaque partie de votre corps. Essayez systématiquement de détendre les muscles dont vous sentez la ‘sur-tension’ ou la contraction parasite. La qualité de l’outil consiste à définir des zones plus ou moins précises dans votre corps en fonction du type d’activité que vous êtes en train de pratiquer (marche, course, montée, plat, descente…). Et même parfois de définir le mm2 dans lequel se trouve la tension.

Voici les trois pistes que vous pouvez explorer pour vous entraîner à utiliser le body scan comme tactique de maitrise des moments difficiles :

  1. Bien que le relâchement soit un solide procédé de gestion de la douleur, quand vous entrez en contact avec une partie de votre corps, vous pouvez également lui parler et vous adressez directement à la douleur ou à la tension. 
  2. Au fur et à mesure de vos répétitions, vous allez apprendre à connaître les zones les plus sensibles de votre corps en matière de tension-relâchement. Vous y porterez donc une attention particulière (par exemple toute la zone dorsale lors des descentes)
  3. Entraînez-vous également en statique. Le check-up de détente est redoutablement efficace dans la gestion du stress pré-compétitif. Pour mieux vous endormir la veille d’une compétition ou tout simplement derrière la ligne de départ en attendant que le starter lâche les chevaux.

Enfin, ne négligez pas le fait qu’un bon scanner corporel combiné à un discours interne positif peut durer une demi-heure, voire plus suivant votre méticulosité. Ce serait sûrement un raccourci, un peu trop rapide pour un coureur d’ultra, de penser qu’il est un outil de gestion de la lassitude. Mais c’est parfois un bon moyen de ‘passer le temps’ à défaut de le gagner.

 

Le confortoscope par l’exemple

Pour vous aider, voici un exemple concret. Le confortoscope comme beaucoup d’outils, peut donner lieu à de multiples utilisations, partielle ou complète. Je prends le parti de vous le présenter depuis l’exemple vécu par un participant, tel qu’il l’avait imaginé et préparé en vue des 100 km de Millau. Cette première approche comprenait pour lui, les objectifs, le déclencheur de routine, la routine et les techniques qui y sont associées. Bien d’autres éléments se gérant directement en course. Nous compléterons la compréhension de son utilisation dans la partie ‘Elaborer une routine de performance’.

Evaluer

La direction :

Objectif de résultat : finir la course en moins de 10 heures.

Objectif de progrès : être régulier entre 10 et 12 km/h au moins jusqu’au 60e km.

Objectifs intermédiaires : faire le point de mes temps de passage tous les 10 km.

Objectif de substitution : finir la course avec de bonnes sensations, en y trouvant du plaisir, en mettant en œuvre ma routine de gestion de la douleur si besoin.

Agir

Déclencheur routine :

A 14/20 sur mon échelle personnelle de référence, je mets en œuvre la routine niveau 1 (douleurs aux jambes, sensation de rythme moins fluide) ;

A 16/20, je passe au niveau 2 (des tensions notamment respiratoires m’empêchent de poursuivre sur le même rythme, je ne suis pas relâché) ;

A18/20, je suis au niveau 3 (je ne peux plus courir en continu, la douleur est très forte).

Phrase clé de déclenchement de ma routine : Allez c’est parti mon kiki (sic).

Exemple de routine de gestion de la douleur :

INTENSITE DE LA DOULEUR

ACTIVITE MENTALE

ACTIVITE COMPORTEMENTALE

Niveau 3

Switch sensoriel : Ki g Ve gAeg Ai

 Je mets ma douleur (Kinesthésique interne) dans un objet de la nature (Visuel Externe) et cet objet me chante ma chanson préférée des Doors que j’écoute en boucle (Auditif interne)

– Faire du Cyrano[1]

– Relever la tête

– Regarder le paysage

– Echanger avec un autre coureur

Niveau 2

Check up de détente : Insister sur l’état des pieds

Visualisation : La fluidité qui circule dans tout mon corps en même temps que le check up

– Sourire et relâcher mon visage

– Relâcher mes épaules

– Etre plus attentif à ma respiration

 

Niveau 1

Dialogue interne : Malgré la douleur et la difficulté, je peux avoir confiance dans mes capacités à bien gérer ma fin de course

Image ressource : Mon fils en train de m’encourager

– Ralentir mon rythme

– Rétrécir les foulées

– Prendre un gel, boire, déglutir et respirer tranquillement

Trois réflexions concernant cette forme d’approche :

– Ce coureur avait choisi de fixer en plus des objectifs intermédiaires lui permettant une mesure objective plus précise (tous les 10 km).

– Le déclencheur des différents niveaux de routine nécessite de s’être mis en observation de soi-même dans les courses précédentes et de connaître les signes annonciateurs qui doivent devenir les déclencheurs de routine.

– La mise en place de cette routine a nécessité pour ce coureur une préparation, un entraînement, des repères et a donc été source de progrès sur le plan des techniques mentales réutilisables dans d’autres contextes.

A priori faire de la course d’ultra, c’est se préparer à vivre une relation un peu particulière avec la douleur. Pas celle du masochisme, comme elle est parfois décrite, mais celle qui permet d’aller au-delà des apparences subjectives de la sensation. Lorsque nous sommes capables de dépasser les premières formes de la douleur, nous sommes capables d’entrer en relation avec une partie de nous-mêmes, parfois inconnue, mais qui est une composante essentielle de notre défi, d’aller sinon vite, tout au moins loin. Et le point clé pour accepter d’avoir (un peu) mal, est le sentiment de contrôle. Le confortoscope peut juste participer à cette conscience. Les marins ne disent-ils pas « le meilleur remède contre le mal de mer, c’est de sauter à l’eau » ?

[1] Réalisation de courtes périodes de marche régulières et programmées à l’avance pendant des ultramarathons de type 24h.

Le check-up de détente

Également appelé body scan (scanner corporel), le check-up de détente est une activité qui invite au relâchement musculaire. Il va simplement s’agir de passer en revue les différentes parties de son corps en prenant conscience de l’état de tension-détente, et systématiquement de décontracter autant que l’activité musculaire du moment le permet. La règle d’or est simple : tout muscle pris en flagrant délit de tension inutile sera irrémédiablement relâché. Outre le fait, cher aux physiologistes, d’économiser de l’énergie (voir la partie coût énergétique au chapitre 1), il s’agit également de focaliser l’attention, ce dont on connaît les effets bénéfiques sur la gestion de la douleur, la fatigue ou le stress. Le relâchement musculaire (et la respiration) sont les bases de la plupart des pratiques corporelles traditionnelles (Médecine Taoïste, Yoga, Taï Chi, Chi Qong). Effectué en situation non dynamique, le check-up de détente est un outil qui favorise l’état de relaxation. C’est, en sophrologie, un des outils de base pour atteindre le seuil sophro-liminal (premier stade de l’endormissement).

Exemple 

Si vous avez vu une seule fois dans votre vie, une finale de 100 m aux Jeux Olympiques, vous savez ce que signifie l’expression relâchement musculaire. Certes nous ne sommes pas des sprinteurs, et la comparaison avec notre pratique s’arrête probablement là. Cependant, cette capacité à relâcher les muscles ‘inutiles’ et les muscles antagonistes est importante.

En pratique

Pendant que vous êtes en train de lire ces quelques lignes, et quelle que soit votre position, portez simplement votre attention aux différentes parties de votre corps qui sont tendues inutilement. Relâchez-les et laisser la détente s’installer pendant que vous continuez votre lecture confortablement. Vous pouvez aussi faire l’essai de contracter volontairement un muscle actuellement au repos pendant une trentaine de secondes puis de le relâcher et de ressentir la différence. Saisissant non ?

Réaliser le check-up en prévention est probablement une bonne idée. En pratique le check-up de détente s’effectue surtout dans les moments de moins bien. Repérez le passage dans lequel vous commencez à éprouver les premiers signes de douleur, fatigue. Et en partant du bout des pieds jusqu’au sommet du crâne passez en revue chaque partie de votre corps. Essayez systématiquement de détendre les muscles dont vous sentez la ‘sur-tension’ ou la contraction parasite. La qualité de l’outil consiste à définir des zones plus ou moins précises dans votre corps en fonction du type d’activité que vous êtes en train de pratiquer (marche, course, montée, plat, descente…). Et même parfois de définir le mm2 dans lequel se trouve la tension.

Voici les trois pistes que vous pouvez explorer pour vous entraîner à utiliser le body scan comme tactique de maitrise des moments difficiles :

  1. Bien que le relâchement soit un solide procédé de gestion de la douleur, quand vous entrez en contact avec une partie de votre corps, vous pouvez également lui parler et vous adressez directement à la douleur ou à la tension. 
  2. Au fur et à mesure de vos répétitions, vous allez apprendre à connaître les zones les plus sensibles de votre corps en matière de tension-relâchement. Vous y porterez donc une attention particulière (par exemple toute la zone dorsale lors des descentes)
  3. Entraînez-vous également en statique. Le check-up de détente est redoutablement efficace dans la gestion du stress pré-compétitif. Pour mieux vous endormir la veille d’une compétition ou tout simplement derrière la ligne de départ en attendant que le starter lâche les chevaux.

Enfin, ne négligez pas le fait qu’un bon scanner corporel combiné à un discours interne positif peut durer une demi-heure, voire plus suivant votre méticulosité. Ce serait sûrement un raccourci, un peu trop rapide pour un coureur d’ultra, de penser qu’il est un outil de gestion de la lassitude. Mais c’est parfois un bon moyen de ‘passer le temps’ à défaut de le gagner.

Sir Roger Bannister

La routine de performance et l’ancrage de ressources

Pour l’instant, il n‘existe pas encore de course s’appelant « l’Ultra du miroir brisé », ayant lieu un vendredi 13, et dont la dernière banderole nous ferait arriver sous une échelle. Ouf, nous sommes (presque) sauvés, puisque vous le savez, être superstitieux, ça porte malheur. Et pourtant, souvent, dans un petit coin de notre tête, subsiste une habitude, un tic mental qui nous raccroche à ce que nous avons à faire. Une coutume personnelle liée à une situation donnée, généralement en référence à une expérience précédente plutôt réussie. Attention, je ne parle pas nécessairement du footballeur qui commence par enfiler toujours la même chaussette, bien que cela puisse en faire partie. Non, j’évoque là une attitude mentale. Une pensée, une image, un son, une chanson ou toute autre composante mentale, que l’on peut parfois assimiler à de la superstition. Et comme d’habitude, l’important n’est pas de savoir si c’est une croyance ou pas, mais plutôt de savoir si cela nous aide ou nous limite. Qu’est-ce qui nous rassure ? Nous protège ?

Et du coup prenant conscience que l’ancrage (voir ci-dessous les techniques d’ancrage) génère des comportements positifs, nous allons essayer de l’organiser pour nous en resservir. C’est ce que l’on appelle l’utilisation des ressources internes. Lorsqu’elles s’organisent en un tout coordonné, un ensemble cohérent de schémas, de pensées ou d’images, que l’on reproduit systématiquement avant d’exécuter une performance cela s’appelle une routine de performance. 

En automatisant une(des) attitude(s) précise(s) à un(des) moment(s) précis, on facilite la mise en œuvre du comportement le plus performant dans cette situation. L’immense intérêt de cette pratique est qu’elle peut être utile en toute situation (ou presque). Pour gérer le stress précompétitif, pour développer la confiance en soi avant un moment important, pour recentrer son attention ou dans des moments en apparence plus triviaux. La routine arrive en général avant la réalisation d’une performance et permet de lui conférer un caractère habituel. Mais elle peut aussi se situer pendant par exemple lorsqu’il faut ramener son attention à un objet pertinent (s’occuper pour ne pas se préoccuper), ou après dans un but de récupération. 

Pour illustrer cela dans un autre sport, il se dit que le tennisman suisse Roger Federer a une routine de performance « erreur d’arbitrage ». Il s’agit juste de savoir comment gérer, notamment émotionnellement, les moments dans lesquels l’arbitre fait une erreur d’appréciation (peu importe qu’elle soit réelle ou fictive). Et maintenir un état de concentration et de confiance malgré un point perdu.

Revenons à l’ultra maintenant, et pour montrer à quel point la routine de performance peut s’appliquer à toute situation, je vous propose de prendre l’exemple du ravitaillement. C’est une phase souvent cruciale sur les courses de très longue distance et qui laisse parfois une impression d’inachevé. Nous pouvons l’optimiser ou nous y perdre. Évoquons les 5 grandes étapes de l’élaboration d’une routine, puis voyons ce que cela peut donner dans un tableau de synthèse.

1. Identifier précisément l’objet que vous souhaitez mettre au cœur de votre routine

Cet élément peut concerner des procédés limitants et/ou insuffisamment opérationnels mais également l’optimisation d’une stratégie d’excellence. Renforcer votre compétence dans un domaine que vous maîtrisez déjà bien.

Exemple : je prends conscience qu’en arrivant au ravito, je ne sais pas dans quel ordre m’y prendre pour rentabiliser mon temps et accomplir au mieux tout ce que j’ai à faire. Je ne suis pas concentré et cette perte de temps me stresse.

Questions possibles à se poser à cette étape : Qu’est-ce qui me perturbe ? Qu’est-ce qui est vraiment dysfonctionnant et m’empêche de donner le meilleur de moi-même ? Quel constat dans mon fonctionnement voudrais-je améliorer ? Quelle attitude ai-je envie d’optimiser ?

2. Prendre conscience de la manière distincte dont j’agis sur les plans mental et comportemental quand je suis dans cette attitude

Il s’agit là de mettre à jour précisément des fonctionnements, le plus souvent inconscients, et qui se caractérisent par des pensées, des actes, des images, des dialogues internes limitants. A cette étape, il est utile de bien décrire ce qui est de l’ordre des processus internes (pensées, vécu sensoriel et émotionnel) et des comportements externes, ce qui est visible, ce que je fais (attitudes observables par une personne extérieure).

Exemple : ce stress se manifeste sous la forme de tensions musculaires inutiles dans les épaules, d’une FC trop élevée pour un temps de repos, d’une boule au ventre. Je vais d’un endroit à un autre sans réussir à être précis dans mes différentes actions. Je n’arrive pas à hiérarchiser tout ce que j’ai à faire. Je me sens incapable d’être concentré et j’ai l’impression de repartir du ravito sans avoir profité pleinement de l’arrêt. Cela me rend parfois inattentif aux autres.

Questions possibles à se poser à cette étape : A quoi sais-je que je suis stressé ? Quels sont les signes de perturbation dans mon corps ? Quelles sont mes pensées ? Quels dialogues et images internes ai-je ? Quelles sont les attitudes que je développe ? Comment est-ce que j’agis ? 

3. Fixer un objectif de routine en tant que résultat attendu

Ce n’est pas nouveau, le comportement humain qui vise une performance, est orienté vers le futur et soutenu par un but à atteindre. Plus nous sommes clairs dans sa définition, plus il sera motivant, et plus nous pourrons en évaluer l’atteinte de manière objective. Pour rappel doit être positif, clair, réaliste, quantifiable et sous notre contrôle (Cf partie sur la stratégie d’objectifs).

Exemple : Je souhaite être suffisamment concentré pour respecter un ordre de priorité pour chacune de mes actions pendant le temps du ravitaillement. Cet objectif sera atteint lorsque je me sentirais calme sur le plan physique et habité par des pensées positives. Indicateurs de réussite : Baisse de la fréquence cardiaque, relâchement musculaire, posture abdominale détendue, relation conviviale avec les autres coureurs et les bénévoles, respect de l’ordre de prise en compte de tous mes besoins, …

Questions possibles à se poser à cette étape : Qu’est-ce que je veux précisément ? A quoi verrais-je que j’ai atteint mon objectif ? Est-ce que je définis ce que je veux (et non pas ce que je ne veux pas) ? Est-ce que les moyens que je vais mettre en œuvre pour atteindre cet objectif sont sous mon contrôle ? Est-ce que cet objectif correspond à mes capacités ? Et question de vérification : Est-ce que cet objectif est compréhensible par une autre personne que moi ?

4. Définir les techniques et outils nécessaires pour la mise en place de cet objectif de routine

Il s’agit de décrire ce que je vais faire pour atteindre chacun des points visés par mon objectif. Les niveaux mental et comportemental peuvent être en jeu de manière différente suivant l’importance que je leur accorde. Cette étape peut se formaliser sous la forme d’un tableau de synthèse.

Exemple : chacun des éléments énoncés ne représente qu’une possibilité parmi de nombreuses autres. A chacun de déterminer ce qui est aidant pour lui. Pour plus de clarté pendant le ravito, j’ai distingué les temps énergie-matériel, relationnel et repos. Bien évidemment, sur le plan chronologique, ils peuvent être alternatifs ou simultanés et se chevaucher. Cependant, c’est souvent la capacité à prendre ces moments l’un après l’autre, qui va favoriser une gestion plus cohérente. En effet, le ravito énergie-matériel ne nécessite pas la même attention que le ravito repos sur le plan mental. Faire les deux en même temps peut nous placer dans une confusion et générer le sentiment de n’avoir pas rentabilisé ce moment. Vouloir tout faire à la fois pour gagner du temps, peut nous en faire perdre. Je vous grâce du nombre de coureurs que l’on voit repartir en oubliant ses bâtons, un vêtement, et même de remplir sa poche à eau… A chacun bien sûr d’y trouver sa propre vérité en fonction de ses objectifs et besoins. La stratégie de substitution vise les situations imprévues comme par exemple : beaucoup de monde, plus du produit recherché disponible, pas de place pour se poser…. C’est en prévoyant l’imprévu qu’il devient familier.

Exemple de routine de performance ravitaillement :

MOMENT

ACTIVITE MENTALE

ACTIVITE COMPORTEMENTALE

Une minute avant d’arriver au ravito

– Je me dis intérieurement que je vais profiter au mieux de ce temps 

– Je me remémore la liste de ce que je vais faire et l’ordre dans lequel je vais le faire

– Je ralentis mon allure pour passer en douceur d’un état à un autre (modification de la vigilance, niveau énergétique différent)

– Je souris en pensant au bon moment que je vais passer à ce ravito

En arrivant au ravito

– Je regarde et mémorise où sont situés les lieux auxquels j’ai besoin d’accéder

– J’établis mentalement le cheminement que je vais effectuer

– J’expire une fois profondément, cela constitue mon déclencheur de démarrage du ravitaillement 

– Je salue les autres et garde mon sourire

– Je pose mes bâtons dans un endroit approprié

Pendant le ravito

typé énergie – matériel

– Mon plan d’action mental est clair, étape par étape

– Je suis concentré (c’est-à-dire centré avec) sur ce que je fais. Mon attention est dans l’ici et maintenant. Et seulement dans l’ici et maintenant.

– J’agis avec méthode et détermination, dans l’ordre pour chacune des actions que je fais (remplissage de la poche à eau, prise de nourriture, récupération de matériel, changement de vêtement…)

– Mes gestes sont calmes et précis

Pendant le ravito typé relationnel

– Je me sens disponible et détendu pour partager avec les autres 

– Je ressens intérieurement le bonheur de ce moment convivial

– Je prends les informations qui me sont utiles (orales ou visuelles)

– Je suis capable d’échanger avec les autres personnes présentes sur mes impressions

Pendant le ravito typé repos

– Je me tiens un langage positif sur ma capacité à atteindre la performance que je me suis fixé (phrase ressource) 

– Je visualise la suite de ma course dans laquelle je me vois bien grâce à ce ravito réussi (image ressource)

– Je suis calme, et détend au mieux chaque partie de mon corps par un relâchement musculaire approprié

– Je respire lentement

Stratégie de substitution

– Je me dis que ce temps d’attente non prévu va favoriser ma récupération

– Je ressens les bienfaits de ma détente musculaire et respiratoire

– Je peux être performant même si je n’ai pas tout ce que je souhaite car je suis capable de m’adapter

– Je respire en profondeur au niveau abdominal

– Je relâche tous les muscles qui n’ont pas besoin d’être en action

– Je reste calme et souriant

A la fin du ravito

– Je me dis que j’ai bien géré ce ravito et que grâce à cela, je peux reprendre ma course en toute sérénité

– Je remercie et salue les autres

– Je reprends mes bâtons

– J’expire une fois profondément, cela constitue mon déclencheur de reprise de la course

En partant du ravito

– Je visualise le prochain ravito 

– Je me dis que je peux vraiment avoir confiance dans ma manière de gérer ces temps de ressourcement

– Je redémarre lentement pour passer en douceur d’un état à un autre (modification de la vigilance, niveau énergétique différent)

Questions possibles à se poser à cette étape : Qu’ai-je besoin de faire, de me dire, de visualiser et de ressentir pour atteindre mon objectif ? Quels sont les techniques/outils qui vont m’aider ? Qu’est-ce je veux installer comme pensées et attitudes à la place de ce que je fais actuellement ? Quel déclencheur (ou ressort) vais-je mettre en place pour basculer de ce que je faisais à ce que je vais faire ?

5. S’entraîner pour rendre cette routine performante

Vous vous rappelez, tout ce que vous savez est inutile. Sauf si vous décidez de vous en servir. La routine n’en devient une qu’à partir du moment où nous en avons fait une habitude mentale et comportementale. Pour l’inscrire dans notre fonctionnement, il s’agit de s’entraîner en pratiquant. C’est ce que l’on appelle plus communément apprendre… C’est-à-dire intégrer sur le plan mnésique, des attitudes cognitives, émotionnelles et corporelles que l’on est capable de reproduire de manière stable en fonction de situations données.

Exemple : Je commence par mettre en œuvre ce qui me semble le plus important (le déclencheur, ce qui est le plus stressant, ce qui me permet d’aller à l’essentiel…). Au fur et à mesure que je progresse dans mon intégration, je rajoute les éléments jusqu’à assimiler l’ensemble de ma routine. Après les avoir testés, je peux changer des procédés qui ne me semblent pas pertinents. Puis je travaille sur le respect du timing et sur ma capacité à faire face à des imprévus (stratégie de substitution). L’idéal est de faire cet entraînement en course, mais je peux aussi m’y préparer pendant mes sorties. Notamment en simulant une arrivée au ravito, en m’exerçant à une respiration profonde, à sourire (essayez, vous verrez ça change l’avis !), à me relâcher… Il me semble qu’un peu d’entraînement régulier (style 5 min à chaque sortie) permet d’arriver rapidement à un résultat acceptable.

Questions possibles à se poser à cette étape : Qu’est-ce qui va me permettre d’intégrer au mieux les outils et techniques que je me suis donné pour progresser ? Quel plan d’action et d’entraînement en répétition mentale dois-je mettre en place ? Comment puis-je intégrer mon nouveau déclencheur ?

Peut-être vous dites-vous que ce procédé manque singulièrement de spontanéité ? Il ne tient qu’à vous d’être libre et naturel. Si votre routine vous enferme, je vous invite à vous poser à nouveau la question placée en préambule de la préparation mentale. Les outils n’ont pas de valeur. Enfin ils n’ont que la valeur qu’on leur donne. Ne prenez que ce qui vous sert vraiment, ne gardez que ce qui vous apporte un plus. Et si vous préférez gérer votre ravitaillement de manière plus instinctive, vous trouverez toujours des copains de course pour partager cela.

Vous l’avez compris, l’élaboration d’une routine de performance nécessite d’avoir un peu pensé préalablement à ce dont nous avons besoin. Et à s’y entraîner. Et parce que la course d’ultra, l’épreuve sportive en général, particulièrement dans les sports de pleine nature, sont incertains, il y a l’importance de toujours garder une certaine souplesse d’esprit et adaptabilité. Vous aurez également repéré que ce genre de pratique est transférable dans la vie de tous les jours. Pour un examen, un entretien d’embauche, prendre la parole dans une situation tendue, aider son enfant à être mieux concentré, ou toute situation dans laquelle nous avons besoin de mobiliser de nouvelles ressources pour tendre vers une performance. Vouloir progresser c’est changer une habitude, et changer une habitude, c’est savoir vers quoi on veut aller de manière rationnelle et cohérente. Et vous vous rappelez, pour progresser mentalement il est important d’innover, c’est-à-dire avoir une nouvelle idée mais également arrêter d’en avoir une ancienne. Nous vous proposerons un autre exemple de routine sur la gestion du stress pré-compétitif dans le chapitre 6. On pourrait qualifier la routine de savoir-faire, ou stratégie de réussite. Presque tout l’inverse de la marotte ou de la superstition. Ouf pas besoin de passer sous un chat noir pour terminer la course et croire quand même à sa chance !

L’ANCRAGE DE RESSOURCE

Notre mémoire est formidable. Enfin peut l’être. Il suffit de se souvenir d’une expérience pour que les perceptions sensorielles et les sensations corporelles associées (visuelles, auditives et kinesthésiques) reviennent avec. Et également les émotions si l’on « s’associe » vraiment à cet évènement. Les physiologistes nous expliqueraient qu’il s’agit simplement de connecter quelques groupes de neurones spécialisés entre eux. A priori, nous en avons 100 milliards alors il paraît raisonnable d’en utiliser quelques-uns pour notre force mentale. Et si l’expérience de Pavlov et de son chien vous dit encore quelque chose, vous verrez que nous n’en sommes pas loin. Mais pas besoin de se faire sonner la cloche ! 

Partant de ce constat simple, nous pouvons utiliser au mieux ce qui est déjà inscrit dans notre corps. Et faire appel, chaque fois que nous en avons besoin à une ressource intérieure. C’est ce que l’on appelle l’ancrage de ressource, également appelé signe-signal en sophrologie. Cette ressource peut être la confiance en soi, l’énergie, le calme, la combativité ou tout autre état interne que nous avons déjà vécu. Il n’est nul besoin que l’état initial soit en rapport avec le moment dans lequel nous allons nous en servir, mais cela peut aider au départ.

Exemple

Mon état ressource recherché (la confiance en moi), est le moment où j’ai réussi un examen professionnel, que je jugeais difficile, et que je redoutais. La confiance acquise – et naturellement ancrée dans mon corps – à cet instant va me servir à nouveau dans une course dont j’appréhende certains paramètres que je ne connais pas. 

En pratique

Sans chercher à l’analyser d’une quelconque manière, prenez quelques instants pour repenser simplement à votre plus grande satisfaction sportive. Quel est le moment dont vous êtes le plus fier ? Notez juste les impressions générales qui viennent se mêler instinctivement avec cette pensée. Et du coup, remarquez peut-être que les sensations qui sont présentes dans votre corps maintenant sont assez proches de celles que vous aviez ressenti à l’époque. Quand bien même cette époque serait fort lointaine.

Comment faire ? Voici le protocole simplifié de la technique d’ancrage. Vous le trouverez également démontré en vidéo sur le site internet. Choisissez l’état interne que vous voulez ancrer (heureux, déterminé, confiant). 

  • Repensez à un événement de votre vie dans lequel vous avez vécu pleinement cet état interne et nommez-le (quel qu’en soit la période et le contexte)
  • Choisissez un « déclencheur » : préférentiellement un geste, mais ce peut être un mot ou une image, qui symbolise cette expérience (doigts enlacés, poing serré…) ou une combinaison de plusieurs déclencheurs (mais privilégiez plutôt le côté pratique et simple)
  • Installez-vous dans une position de relaxation ou tout au moins de détente. Puis fermez les yeux et revivez ce souvenir
  • Remémorez-vous cet instant jusqu’à vous en imprégner au plus profond de vous. Revoyez ce moment sur votre écran intérieur, réentendez ce qui se passait dans la scène, ressentez à nouveau les sensations. Et pourquoi pas, sentez à nouveau les odeurs, ou les goûts qui étaient éventuellement présents à cet instant. Si vous êtes vraiment « dans » ce moment, vous n’allez pas tarder à vous plonger dans l’émotion vécue à l’époque, et retrouver ainsi les sensations de l’état interne que vous aviez pu ressentir. 
  • Au moment où vous êtes presque au plus fort de l’intensité émotionnelle de ce souvenir, ancrez-le. C’est-à-dire déclenchez intensément le geste (ou mot, image) que vous avez choisi préalablement – au point 3 – et associez-les profondément. Vous venez de solidariser un déclencheur (le geste, mot ou image) et un état interne, de telle sorte que chaque fois que vous le réactiverez-vous revivrez « automatiquement » l’évènement et les ressources qui y sont associées.
  • Faites un « pont sur le futur », c’est-à-dire projetez-vous dans l’avenir en ayant acquis cette ressource. Par exemple : lors de ma prochaine course longue, je me perçois avec la confiance nécessaire.
  • Allez boire une bière, parce que ça fatigue. A consommer avec modération. La bière, pas l’ancrage !

Dans un premier temps, il est indispensable de répéter au moins trois fois de suite l’opération afin de renforcer l’ancrage. Puis encore plusieurs fois quotidiennement dans les jours qui suivent. Par la suite, vous serez surpris de constater l’automatisation du procédé. Choisissez ensuite de les expérimenter sur le terrain, aux moments d’entraînement dans lesquels vous vous retrouvez confronté à ce qui vous attend en course. Par exemple, utilisez l’ancrage de ressource « confiance dans ses capacités » pour les sorties longues lors des coups de moins bien. 

Pour mesurer la portée de cet outil, faites écouter « Christophe Colomb » de Vangelis à un UTMBiste ! Si pour lui, comme pour la plupart des coureurs, la course reste un merveilleux souvenir, vous avez l’exemple parfait d’un ancrage de ressource inconscient. Alors une fois qu’on le sait, autant s’en servir délibérément. Notez juste qu’il peut aussi y avoir des ancrages négatifs inconscients comme par exemple l’assimilation d’un lieu avec une blessure. Les repérer permet de se créer intentionnellement un futur ancrage aidant ou mettre d’autres techniques en avant, comme l’imagerie mentale ou l’approche par la mindfulness, comme vu plus haut.

Deux autres approches mentales en course d’ultra

Les respirations 

Ça commence comme ça. Et ça se termine comme ça d’ailleurs également. Par une respiration. Toute la vie dans un petit concentré d’air. Entre 15 000 à 20 000 mouvements respiratoires quotidiens. De nos jours, de nombreuses approches thérapeutiques notamment les thérapies de pleine conscience et les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) utilisent la respiration comme un levier dans la gestion de l’anxiété et des émotions négatives. Chacun de nous a déjà pu observer ce que les tensions physiques et mentales entraînent comme modification sur la respiration. Et inversement. Avec l’imagerie mentale, la respiration (ou plutôt les respirations) est la pratique la plus développée en préparation mentale, car un des régulateurs physiologiques les plus efficients.

Comme la fréquence cardiaque, la respiration est un des premiers indicateurs de vitesse de course inadaptée. Par le rythme bien sûr, mais également par la qualité respiratoire, et la posture biomécanique qu’elle permet (ou pas). En ultra, si vous êtes en détresse respiratoire, c’est-à-dire incapable d’avoir une conversation soutenue avec votre voisin de course, il est évident que votre rythme est trop élevé. Quel que soit le moment de la course (sauf pour le sprint final au Tor des Géants qui vous permettra de gagner une place).

En pratique

Restez vigilant : Il se peut qu’en pratiquant les exercices décrits ci-dessous vous ayez la tête qui tourne au début, ces effets corporels normaux lorsqu’on n’a pas l’habitude d’une telle respiration, viennent simplement d’une légère hyperventilation. Il n’y a pas de danger, asseyez-vous et revenez à votre respiration normale quelques instants avant de réessayer.

Sans changer de position, prenez juste conscience de l’endroit de votre corps dans lequel se situe votre respiration. Plutôt abdominale ? Plutôt haute (thoracique) ? Est-elle courte ? Ample ? Saccadée ? Profonde ou superficielle ? Vous pouvez refaire cela à loisir en course.

Les pratiques de respiration sont tellement multiples qu’il faudrait des centaines de bouquins pour toutes les examiner, d’ailleurs ils existent ! Si vous n’avez pas de temps à y consacrer, essayez la respiration abdominale. La star de toutes les pratiques de maîtrise de soi. Il s’agit simplement de la respiration naturelle de l’être humain, celle des bébés et des jeunes enfants, et celle que l’on pratique en général pendant notre sommeil lorsqu’il est paisible. Elle consiste à relâcher l’abdomen pour inspirer pleinement et donc détendre l’ensemble des zones musculaires contigües.

Elle peut se pratiquer couché, assis ou debout et bien sûr en courant. Pour démarrer l’exercice, il est plus facile de commencer couché car on relâche plus aisément les tensions musculaires. Placer une main sur votre abdomen, et une sur la poitrine, n’inspirez que par le nez, ne gonflez que le ventre. La poitrine et les épaules ne devant pas bouger (votre deuxième main sert à le vérifier). En s’abaissant le diaphragme permet l’inspiration, et donc gonfle l’abdomen. Puis expirer lentement et profondément par la bouche en rentrant progressivement le ventre. Pour démarrer dans cette pratique tellement bénéfique dans bien des situations, n’hésitez à forcer un peu le « gonflé » d’abdomen, en abaissant le diaphragme intentionnellement, en poussant vers le plancher pelvien. Ses effets sont les suivants : en respirant de cette façon, tout en régularisant votre rythme cardiaque, vous développez une meilleure oxygénation de vos cellules et intensifiez l’évacuation de déchets gazeux. L’ouverture vers le bas permet de relâcher les tensions dans le haut du corps, particulièrement dans la nuque, le cou, les épaules.

En vieillissant vous devenez sage. Alors vous n’hésiterez pas à pratiquez également ces quatre autres respirations pour leurs bienfaits avant, pendant ou après une course (voir la démonstration sur le site internet) : 

  1. La respiration dans les trois étages : debout les épaules tombantes, placez une main sur l’abdomen, une sur la poitrine Pratiquez une inspiration au niveau abdominal (comme vu dans l’exercice précédent) puis lorsque vous sentez que votre abdomen est gonflé au maximum (c’est l’étage abdominal), continuez votre inspiration pour laisser l’air s’installer dans votre thorax qui va s’ouvrir naturellement (c’est l’étage thoracique ou costal). De la même manière, lorsque vous sentez votre poitrine « remplie », laissez les épaules s’ouvrir largement pour accueillir la fin de votre inspiration (c’est l’étage sous-claviculaire). Expirez lentement par la bouche par un petit filet d’air continu. Votre temps d’expiration est égal ou légèrement plus long que votre temps d’inspiration. Vous allez quasi-instantanément sentir la détente qui s’installe. Vous venez de pratiquer une respiration dite complète dans les trois étages. Ses effets : Avec cette respiration, vous prenez conscience de l’ensemble des espaces respiratoires. Elle favorise la détente et le relâchement général. A pratiquer chaque fois que vous sentez que votre respiration est incomplète, superficielle, hachée ou trop haute. 
  2. Respiration relaxante : reprenez l’exercice de respiration abdominale et faites-en sorte que votre temps d’expiration soit au 3 ou 4 fois plus long que votre temps d’inspiration. Le secret c’est d’expirer par le nez sans sentir le passage de l’air au niveau des narines, ou par la bouche comme si vous vouliez souffler des bougies sur un gâteau d’anniversaire sur lequel il y a du sucre glace. Ses effets : au bout de 5 respirations complètes de la sorte vous allez sentir le calme s’installer. Peut-être des picotements, de la chaleur ou toute sensation vous indiquant que le corps lâche des tensions. Cette respiration favorise la baisse du rythme cardiaque. Cet effet va se renforcer si vous « poussez » mentalement votre souffle dans toutes les parties de votre corps comme si vous vouliez diffuser de la détente dans chaque cellule. A mettre en œuvre chaque fois que vous avez besoin de vous calmer. Pour récupérer pendant que vous remplissez votre poche à eau, en attendant votre tour au ravitaillement, ou si vous mettez le clignotant quelques instants, victime d’un petit coup de mou. Bien sûr la veille du départ si le sommeil n’est pas immédiatement au rendez-vous, vous pouvez pratiquer cette respiration pour favoriser l’endormissement.
  3. Respiration dynamisante : c’est l’inverse de la précédente. Reprenez l’exercice de respiration abdominale et faites-en sorte que votre temps d’inspiration (par le nez) soit au moins 3 ou 4 fois plus long que votre temps d’expiration (en expulsant assez fortement mais non violemment par la bouche grande ouverte). Puisque l’expiration est brève, faites attention à bien vider les poumons avant de reprendre une inspiration. Ses effets : avec cette respiration vous allez rapidement percevoir que votre corps se mobilise. Elle favorise l’accélération du rythme cardiaque et contribue à maintenir un niveau de vigilance élevé. A utiliser juste avant un départ qui n’a que trop traîné pour vous remettre physiquement et mentalement « dedans », après une petite pause « coup de moins bien », à moins que ce ne soit pour se donner du courage dans la nuit quand le sommeil ou la lassitude commence à vous gagner.
  4. Respiration en carré : cette respiration permet de coordonner la maîtrise de l’inspiration et de l’expiration avec des phases de rétention. Elle donne toute sa puissance lorsqu’elle est synchronisée aux pulsations cardiaques. Pour vous entraîner, mettez-vous en position assise, tête dans l’axe du corps, dos droit, relâchez les épaules et les tensions musculaires inutiles. Prenez votre pouls et inspirez sur 4 pulsations. Puis retenez l’air poumons pleins (phase de rétention) pendant le même temps (4 pulsations) expirez sur la même longueur et à nouveau retenez votre souffle poumons vides (phase de rétention) sur 4 pulsations cardiaques. Pratiquez pendant 10 minutes. Ses effets : en favorisant l’oxygénation pendant les phases de rétention, ce type de respiration développe le dynamisme général et favorise fortement la capacité de concentration. Il est aussi considéré anti-stress. La médecine chinoise le conseille pour améliorer la tension artérielle. Elle se met en œuvre en dehors de la pratique même de la course. Essentiellement pour se recentrer sur l’ici et maintenant, dans un petit moment de stress pré-compétitif, pendant les étirements pour entrer dans la sensation corporelle, ou comme porte d’entrée avant un temps de relaxation. Elle n’est pas conseillée en course. 

Vous l’avez compris, les techniques de respiration sont au cœur même de la recherche de performance car elles nous ancrent dans l’ici et maintenant. 

Les variations techniques/physiques 

C’est tout à fait naturellement que nous marchons lorsque nous sommes fatigués, que nous ralentissons lorsque nous avons mal. C’est tout à fait instinctivement que nous modifions notre foulée quand nous passons du plat à la montée. Parmi les grandes modifications liées à la baisse d’énergie, on constate également : la dégradation de la qualité technique, l’auto-questionnement remettant en cause ses propres capacités, le traitement de l’information erroné par manque de lucidité, des prises de décision altérées. En réponse, les variations techniques et physiques que nous adoptons dans ces situations, sont plutôt naturelles et spontanées. Oui mais voilà, lorsque l’on en prend conscience, on peut les utiliser de manière encore plus appropriée. Nous verrons donc comment une technique particulière (la marche afghane), peut nous aider à allier mental et physique dans les « coups de moins bien ». 

Exemple 

Le bruit. Oui le bruit que nos appuis font, lorsque nous commençons à être fatigués. La modification de la foulée sur le plan biomécanique va entraîner, outre une perte de rendement, une dégradation technique. Et c’est alors un excellent indicateur auditif. Surtout sur route. Sur les sentiers particulièrement techniques, quand l’appui se lève moins haut pour éviter les obstacles, l’indicateur risque d’être kinesthésique… après la chute.

En pratique

Ici nous prendrons l’exemple avec la marche afghane (voir la démonstration sur site internet). Que faites-vous en général lorsque survient cette combinaison de dégradation technique et de fatigue physique. Quelles en sont les conséquences mentales ? 

La marche afghane est une pratique fondée sur la synchronisation parfaite de la respiration avec les appuis. Cette coordination qui comprend des temps d’inspiration, d’expiration, mais également de rétention favorise une oxygénation naturelle qualitative de l’ensemble du corps. Avec un peu de maîtrise, elle s’utilise sur tous les terrains (plat, montée, descente, passages techniques…). Il est cependant important de commencer à la pratiquer sur des terrains faciles, plats et sans obstacles pour bien assimiler la technique de base. Ensuite la variété des types d’appuis (liée au terrain, au type de marche, à la vitesse et au marcheur) sera intégrée pour pratiquer de manière personnalisée. Sur le site , vous verrez une démonstration sans temps de rétention (en 2-2), puis avec temps de rétention après l’inspiration (en 2-2-2), qui peuvent constituer une première étape d’apprentissage avant de passer à la description ci-dessous.

Pour débuter, il est conseillé de choisir un terrain plat, à une vitesse d’environ 5 km/h. Synchronisez marche et respiration de la manière suivante :

  • Sur les 3 premiers appuis (par ex D-G-D), inspirez par le nez
  • Sur l’appui suivant (G), gardez l’air dans les poumons (temps de rétention poumons pleins)
  • Sur les 3 appuis suivants (D-G-D), expirez
  • Sur l’appui suivant (G), gardez les poumons vides (temps de rétention poumons vides). La décomposition de cette pratique de base est donc : 3-1/3-1. 

Au fur et à mesure de votre pratique vous vous détacherez du décompte mental et votre corps entrera petit à petit dans une synchronisation naturelle. Il est important au début de passer par cette phase où l’on compte, pour bien maîtriser la coordination de base. Vous pourrez alors ensuite aborder d’autres terrains, d’autres rythmes, d’autres vitesses de marche, récupérer vos bâtons.

La marche afghane offre l’avantage considérable de permettre au physique et au mental de s’allier pour continuer à avancer notamment dans les moments difficiles. Mais elle peut parfaitement s’intégrer dans les courses longues, lors de stratégies de type Cyrano. Lorsque vous maîtriserez la pratique de base, trouvez votre propre rythme. Celui adapté au terrain sur lequel vous êtes, à votre vitesse, à votre cadence respiratoire, au rythme des bras si vous avez des bâtons. C’est un ensemble homogène à constituer graduellement.

Enfin, dans les moments de doute ou les jambes déroulent moins forts, quand l’énergie nous lâche un peu, ou lorsque notre tête nous abandonne momentanément, il peut être mentalement très réconfortant lors de l’expiration de laisser s’installer un mot-ressource (confiance, énergie, etc. : voir le site). Comme si on le ‘respirait’ dans tout le corps (revoir partie ‘le dialogue interne’). 

« Ce que tu ne comprends pas dans ton corps, tu ne le comprendras nulle part ailleurs ». Cet upanishad nous rappelle que c’est parce que la marche afghane sollicite toute notre intelligence organique en mouvement qu’elle peut nous venir en aide. Parce que c’est précisément dans ces moments d’incertitude, qu’il est rassurant de s’accrocher au seul connu dont nous sommes le messager, notre corps. 

Vidéo ancrage de ressources

Vidéo marche afghane

La parole aux coaches et préparateurs mentaux

Nous vous proposons dans cette section, quelques réflexions d’entraineurs expérimentés. Par leur expertise, leurs analyses, le recul qu’ils ont sur ce qui fait la particularité de l’ultra, ils nous livrent des réflexions et des clés comme autant de pistes à explorer prenant en compte les dimensions mentales. Comme toujours à ne surtout pas prendre comme un mur à longer, mais comme des fenêtres à ouvrir. 

 « Ne pas vouloir, mais faire » ou encore « raccrocher les intentions à l’intention de faire », et si ça ne vous suffit pas « Se faire des micro expériences au quotidien ». Vous l’avez compris le crédo de Christophe Malardé c’est de revenir continuellement à la maitrise. Dans sa carrière de coureur, il se découvre passionné pour comprendre et chercher encore et encore les passages qui permettent d’aller plus loin au propre et au figuré. Passer de l’autre côté de la barrière, il propose de se choisir des mots-clés par portion de course (ce fameux découpage en micro objectifs), scanner son corps quand la difficulté arrive, accorder une importance particulière aux prises de décision, reconsidérer constamment la question « qu’est-ce que tu sais faire ? », valoriser le débriefing et la prise en compte de l’expérience subjective du coureur. Ses propositions semblent frappées du bon sens, d’ailleurs le sens et les objectifs qui le nourrissent sont aussi des fondements de son travail. En quelque sorte rester aux sources de ce qui caractérise un humain qui décide de courir loin, longtemps. En restant centré sur le lien entre la dimension psychologique et la santé. L’ultra est-il contenant de nos limites ? Ce grand élan qui questionne l’humain derrière le traileur. Et surtout, durer dans cette discipline « Passer de montrer aux autres à s’incarner ». Formé à la dimension mentale de la performance, Christophe ouvre grand la porte à « l’ultra qui nous humanise ».

La longue et brillante expérience de coureur d’Éric Lacroix l’invite à nous proposer cet incontournable tryptique : sentir, ressentir, courir. Laissons-le nous le détailler : 

« Ce n’est pas tant la fatigue physique (même si elle reste importante) qui importe le plus sur une épreuve d’ultra distance mais bien la charge mentale, et donc la réserve émotionnelle, que l’on va pouvoir soutenir sur la deuxième partie de course qui s’avère capitale. C’est ce que l’on nomme aussi la gestion de course, ou bien le ‘pacing’ de course, celle qui permet d’appuyer- ou modérer- sur l’accélérateur (comme sur une voiture) pour gérer son capital énergétique en fonction de la distance à réaliser.

Évaluer les ressentis de l’entraînement par la charge affective, et y trouver du plaisir. Tenter de mesurer la charge affective pour essayer de comprendre pourquoi certains coureurs vont stopper leur effort alors même qu’ils n’ont pas atteint leur limite physiologique est donc une piste de recherche de plus en plus fréquente dans les sports d’endurance. En effet cet indice prend en compte non seulement la perception de l’effort mais aussi le plaisir. 

Mais que ce soit dans l’entraînement ou au cours d’une compétition, on peut éprouver un conflit interne dans lequel on doit choisir l’intensité de notre effort en fonction d’une charge affective. 

Pour cela il faut choisir entre :

  • Consommer suffisamment d’énergie pour être performant,
  • Consommer suffisamment d’énergie pour être certain d’aller au bout (qui est différent de vouloir être performant).

C’est donc un véritable dilemme qui s’offre au coureur qui va être le garant dans la réussite, ou non, de sa performance selon ses forces ou faiblesses psychologiques, mais aussi de son ego.

Le travail au ressenti d’effort (RE) peut ainsi être une voie de progrès intéressante pour individualiser davantage son entraînement. Une échelle de RE permet en quelque sorte de déceler les sensations du jour et donc d’individualiser plus précisément les effets recherchés dans l’entraînement. En effet, l’état de forme (et son ressenti) à un fort impact dans les sessions d’entraînement, mais aussi sur la capacité de transfert le jour de la compétition car on y reconnait les signes de fatigue et de plaisir.

L’objectif est donc de pouvoir appliquer la méthode de la perception du RE sur une échelle de 1 à 10 en étant capable de s’autoévaluer dans l’entraînement avec l’état de forme du jour. (Vous retournerez voir les propositions du « Confortoscope » qui vont dans ce sens et complètent la démarche).

La mesure du RE est une excellente alternative à toutes les méthodes qui nous paraissent difficiles à appliquer sur des séances et des sorties en nature nécessaires à l’entraînement du trail (pourcentages de VMA, mesure des lactates, etc…). Il faut avoir conscience que cette mesure prend du temps, et qu’il faut intégrer progressivement des routines de mesure qui sont difficile au début. Mais cette mesure va permettre de nous situer sur une échelle de niveau d’effort à fournir lors de séances d’intensité mais aussi d’endurance. Cela permet :

– De réguler notre effort au cours de la séance. Ainsi un effort de 8 sur 10 n’a pas le même impact que celui de 10 sur 10 qui lui est maximal ;

– De pouvoir contrôler en quelque sorte sa progression en décelant éventuellement des signes de fatigue, voire de surcharge dans l’entraînement, notamment si l’on est toujours dans des échelles hautes ;

  • De s’habituer à se donner une échelle de ressenti d’effort transférable en compétition, pour une meilleure gestion de son allure.

Cependant les aspects psychologiques influencent fortement la valeur de ce ressenti. Ainsi certains coureurs ont tendance à sous-estimer l’effort (la mauvaise tolérance à l’effort étant perçu comme une faiblesse), quand d’autres le surestiment (pour susciter la compassion). Cette mesure demande donc un temps d’apprentissage assez long afin d’apprivoiser cet outil, et surtout de se l’approprier. Notre corps est certes capable de grandes choses mais il est avant tout nécessaire de pouvoir le mobiliser et de convaincre notre esprit. C’est une sorte de méditation qu’il faut aussi éduquer lors des séances pour que cela devienne une routine durant la compétition. »

Très sensibilisé à l’approche mentale, Éric s’empresse d’ajouter : « Ces ressources mentales sont peu travaillées à l’entraînement et la dose de confiance emmagasinée peut donc faire défaut d’autant plus qu’elle est fortement liée au niveau de fraîcheur et à la gestion de sa fatigue physique. Le maitre mot semble donc être la gestion mentale qui se résume à pouvoir gérer ses pensées et ses émotions. »

Dans son témoignage, Jean-Claude Banfi, coach de longue date et titulaire d’un Diplôme Universitaire de préparateur mental, nous propose une solide réflexion sur la confiance. Observez le cheminement qui peut amener un.e athlète à un programme d’entrainement boulimique voire au surentrainement, parfaite illustration de ce thème abordé par ailleurs au chapitre 5.

« Il y a quelques années, j’ai été contacté par une athlète qui a gagné plusieurs courses de niveau international. Elle est en surentraînement et nous travaillons sur une « réathlétisation ». Son programme de course me parait « démentiel ». Un jour, elle me téléphone pour me demander d’organiser un test physiologique pour « savoir si elle a des qualités réelles pour la course à pied ». A l’époque, avant ma formation en préparation mentale, j’ai simplement été extrêmement surpris. Voici l’état de mes réflexions actuelles.  Dans l’analyse transactionnelle du stress (Voir Lazarus et Folkman), un athlète confronté à une tâche (un ultra par exemple) va inconsciemment (ou pas) analyser l’état de ses ressources (les capacités qu’il ou elle pense avoir à sa disposition) et l’état de « l’attente » (ce qu’il ou elle pense être nécessaire pour réussir la tache). Lorsque l’athlète citée plus haut me demande d’organiser un test, elle verbalise que la perception qu’elle a de ses ressources est « faible ». Lorsque la perception des ressources est inférieure à la perception de la demande, la tache va évoquer un déficit de confiance et/ou un stress excessif. Une hypothèse prend alors forme : Une faible perception des ressources génère un manque de confiance. Chez certains athlètes, cet état de fait peut générer un besoin de se rassurer important qui peut se traduire par un calendrier « démentiel » du style un ultra par semaine jusqu’à blessure ou sur entrainement. Notons que la littérature scientifique fait état d’une différence de genre, les femmes étant statistiquement plus sujettes à un déficit de confiance et d’estime de soi. Bien sûr, lorsque l’on collabore avec un athlète, les statistiques ne sont d’aucune utilité. »

« Puisque nous évoquons la notion de confiance, j’émet aussi l’hypothèse que chez certains athlètes un manque de confiance entraine ou peut entrainer une gestion de course limitante. Un autre coureur qui fait appel à mes services passera à côté de ses courses UTMB alors qu’il sera performant dans les autres situations. Certains athlètes semblent être dans l’incapacité de gérer efficacement les événements qu’ils considèrent comme importants. Voici l’hypothèse : Certaines définitions d’objectifs de résultats (Burton) participent à une attente importante. ». Cette illustration montre toute l’importance d’une stratégie d’objectifs clairement construite (Cf Chapitre 2).

Enfin, en guise de conclusion (mais est-ce possible de conclure quand on parle d’un territoire aussi infini que le mental ?), nous laissons la parole à deux coureurs experts, qui chacun à leur manière sont également dans une démarche d’accompagnement. Jules-Henri Gabioud, amateur de long et de très long (vainqueur entre autres du Tor 450, de la PTL, de l’Annapurna Mandala trail) encadrant de stages de trail, aime dire qu’il faut « Courir pour soi-même », « faire sa course », gonflé pour un amateur de courses en équipe ! Heureusement il ajoute « celui qui est lucide va devant », « pour mieux assembler nos ressources ». Quant à Christian Mauduit, (non, vous n’aurez pas son CV, on vous a déjà dit qu’on manquait de place), coureur de très très long et préparateur mental, il en remet une couche sur l’importance du sens préalablement défini. Et notamment pour mieux discriminer l’universel et le singulier, pour revenir à l’interrogation sur ses propres manières d’agir, pour ne plus se poser de question pendant la course (sic).