Chapitre 4

SOUTENANCE DE THESE DE THIBAULT BESSON

LES FEMMES SONT-ELLES PLUS RESISTANTES A LA FATIGUE ?

On ne va pas garder le suspense plus longtemps : au niveau de la fatigue musculaire, les femmes sont clairement avantagées. Voici pourquoi. Adapté de Besson et al., (2022).

Fatigue neuromusculaire

La fatigue neuromusculaire est traditionnellement définie par les physiologistes comme une réduction de la force ou de la puissance maximale induite par l’exercice. Les causes peuvent être périphériques (c’est-à-dire à l’intérieur du muscle) et/ou centrales (c’est-à-dire proximales à la jonction neuromusculaire) (Figure ci-dessous). Le niveau de fatigue total et les causes (on dit l’étiologie quand on veut faire son malin, ce qui est généralement mon cas) de cette fatigue neuromusculaire en course à pied dépendent de nombreux facteurs tels que la durée de l’exercice, l’intensité, l’altitude, la pente (Giandolini et al., 2016)… et donc le sexe. La fatigue centrale reflète une baisse de la capacité à activer volontairement les motoneurones qui commandent la contraction musculaire. Cette fatigue centrale pourrait être un mécanisme de protection dont le but est de limiter les perturbations et donc la mise en danger de l’organisme (Millet, 2011). Contrairement à la fatigue centrale qui survient principalement après un exercice de très longue durée et de faible intensité comme un ultra-marathon, la fatigue périphérique est plus importante lors d’exercices intenses et de plus courte durée (Thomas et al., 2016), ou lors de la course en descente (Bontemps et al., 2020), même si on parlera alors davantage de dommages musculaires que de fatigue. Ce type d’exercice peut affecter i) la transmission du potentiel d’action le long du sarcolemme, ii) le couplage excitation-contraction et iii) l’interaction actine-myosine. Dans la 2e figure ci-dessous, nous expliquons comment nous arrivons à évaluer la part de la fatigue centrale de celle de la fatigue périphérique.

Causes potentielles de la fatigue neuromusculaire. La perte de capacité fonctionnelle (force, puissance) peut se situer à chaque site.

Mesure des fatigues centrale et périphérique. Fatigue centrale : lorsque l’on stimule électriquement un muscle contracté maximalement, la force surimposée renseigne du déficit nerveux, c’est-à-dire de l’incapacité du système nerveux à recruter toutes les fibres musculaires. Si ce déficit nerveux augmente avec la fatigue, c’est le signe d’une fatigue centrale. Pour la fatigue périphérique, on stimule un muscle relâché, si la force évoquée par une stimulation donnée sur un muscle relâché diminue, c’est le signe d’une fatigue périphérique.   

 

Les différences entre les sexes en matière de fatigue neuromusculaire ont été principalement étudiées en laboratoire (pour une revue de questions, voir Hunter, 2014). Bien que les femmes soient moins fortes et moins puissantes que les hommes, elles sont moins fatigables que les hommes pour des contractions isométriques maintenues ou des contractions intermittentes (Hunter, 2018). De façon intéressante, cette moindre fatigabilité disparaît dans des conditions d’ischémie totale (lorsque l’on met un garrot), ce qui suggère que les femmes pourraient être avantagées sur le plan du flux sanguin en direction de muscles actifs (voir ci-dessous). Cependant, les différences de fatigabilité entre les sexes sont moins claires à la suite de tâches dynamiques, car les femmes ont été trouvées soit moins fatigables, soit autant fatigables que les hommes. Une meilleure résistance à la fatigue a été trouvé chez les femmes après une série de 30 extensions dynamiques maximales du genou (Pincivero et al., 2003). Ce résultat est important car dans un article récent (Ehrstrom et al., 2018), l’endurance locale des extenseurs du genou était un bon prédicteur de la performance sur trail court (27 km ; +1400 m de D+) chez des coureurs masculins entraînés. En cyclisme, une équipe anglaise (Ansdell et al., 2019) a comparé les hommes et les femmes après avoir normalisé l’intensité de l’exercice à la puissance critique (c’est-à-dire la puissance limite étant censée ne pas induire de fatigue). D’abord ils ont observé que cette puissance critique est plus proche de la puissance maximale aérobie chez les femmes que chez les hommes mais de surcroit les femmes étaient capables de durer plus longtemps à cette puissance que les hommes (Ansdell et al., 2019). Les femmes avaient également une perte de force et une fatigue périphérique à l’épuisement plus faibles. Quid de la course à pied ?

Après deux heures de course sur tapis roulant en laboratoire à une vitesse correspondant au premier seuil ventilatoire, Glace et al. (1998) ont rapporté que la force des quadriceps et des ischios diminuait uniquement chez les hommes. Boccia et al. (2018) n’ont rapporté aucune différence entre les sexes dans la diminution de la force des quadriceps après un semi-marathon. Ces auteurs ont également constaté que l’origine de la fatigue (centrale vs périphérique) était indépendante du sexe. Après Marseille-Cassis, une course sur route de 20 km (D+ : 382 m / D- : -294 m), les femmes ont montré des diminutions fonctionnelles plus faibles dans les 2 premières heures post-course et une récupération plus rapide que les hommes (Macchi et al., 2021). En effet, seuls les hommes ont montré des diminutions de la force isométrique maximale des quadriceps et de la puissance maximale mesurée sur Drop Jump jusqu’à 4 jours après la course.

Quid de l’ultra ? Sur la version raccourcie de l’UTMB (110 km en 2012, en raison de la météo, nous (Temesi et al., 2015) avons évalué la fatigue neuromusculaire chez d’hommes et femmes appariés par niveau de performance relatif (c’est-à-dire qu’ils étaient en moyenne au même pourcentage de performance que le vainqueur de leur sexe). Les femmes avaient i) une fatigue périphérique moindre des fléchisseurs plantaires (mollets) et ii) une plus faible diminution de la force maximale au niveau des quadriceps par rapport à leurs homologues masculins. En 2019, nous avons remis le couvert sur l’UTMB mais en étudiant cette fois toutes les distances (de 40 à 170 km) (Besson et al., 2021). De nouveau, nous avons appariés hommes et femmes par niveau de performance relative. Et de nouveau nous avons trouvé une plus grande perte de force des quadriceps chez les hommes. En revanche, contrairement à notre hypothèse selon laquelle ce serait vrai en ultra et pas sur trail court, cette différence entre les sexes était indépendante de la distance de course. C’était même plutôt l’inverse car nous avons observé une plus grande fatigue périphérique sur les fléchisseurs plantaires chez les hommes sur les courses < 60 km, mais aucune différence entre sexe dans les courses > 100 km (Besson et al., 2021). Ce résultat pourrait être en partie dû à des différences hommes-femmes sexe dans les  » intentions de compétition  » des participants : les femmes ont déclaré avoir effectué la course dans un mode plus ‘plaisir’ sur les trails < 60 km alors que les hommes étaient plus orientés vers la compétition. En d’autres termes, une moindre fatigue post-exercice ne signifie pas nécessairement une meilleure résistance à la fatigue puisque les aspects psychologiques jouent un rôle. Il n’empêche, les femmes montrent moins de fatigue que les hommes sur l’ensemble des distances de course (figure ci-dessous).

Fatigue neuromusculaire des quadriceps en fonction de la distance de course. Données issues de la thèse de Thibault Besson.  

 

Caractéristiques des tissus musculaires

Parmi les mécanismes expliquant ces différences de fatigue neuromusculaires hommes-femmes, on trouve des propriétés musculaires distinctes, en particulier sur le plan de ce que l’on appelle la typologie musculaire : les femmes ont plus de fibres lentes, résistantes à la fatigue (dites de type I). Ce n’est pas tant le nombre de fibres lentes ou rapides qui diffère entre les sexes que la surface occupée par chaque type. Au final, ça ne change pas grand-chose, les femmes ont des muscles plus adaptés à l’endurance. Surtout si l’on ajoute qu’elles ont également une plus grande capillarisation (Roepstorff et al., 2006) et une activité enzymatique glycolytique plus faible (Komi et al., 1978) et une meilleure réponse vasodilatatrice à l’exercice que les hommes. Par exemple, les réponses vasodilatatrices de l’artère fémorale pendant un exercice dynamique d’extension du genou sont plus importantes chez les femmes que chez les hommes (Parker et al., 2007). Dans l’ensemble, ces résultats expliquent pourquoi les femmes présentent des altérations atténuées de la fonction contractile par rapport aux hommes (Sundberg et al., 2017) et sont capables de récupérer plus rapidement après un exercice fatiguant (Laurent et al., 2010). En plus d’expliquer directement la différence de fatigabilité liée au sexe au niveau musculaire, la perturbation métabolique atténuée liée à la plus grande surface de fibres de type I peut également conduire à un moindre feedback vers le système nerveux et donc moins de fatigue centrale. En effet, les niveaux plus élevés de fatigue observés chez les hommes ont été associés à des déficits centraux plus importants, même si ces études utilisaient des efforts maximaux et ce qui fait que l’on ne sait pas si cela reste vrai pour les contractions sous-maximales (Hunter, 2014)

Une autre différence, évidente, entre les hommes et les femmes se situe au niveau de la force maximale, en lien avec une plus grande masse musculaire (taille de fibres) chez les hommes (Miller et al., 1993). Et bien bizarrement, ce facteur pourrait aussi expliquant en partie les différences de fatigabilité entre les sexes car les muscles les plus forts ont tendance à être moins perfusés car plus de force signifie plus de pression intramusculaire et donc occlusion du flux sanguin plus importante. Néanmoins, cela n’explique pas tout car si l’on compare la fatigue neuromusculaire des hommes et des femmes après des efforts isométriques sous-maximaux et intermittentes de courte durée où on normalise l’intensité de l’exercice intermittent par la force maximale (Ansdell et al., 2017), on observe toujours une réduction de la force plus faible et une performance meilleure chez les femmes que chez les hommes.

En conclusion, que ce soit pour des tâches fatigantes locales ou après des courses de trail et d’ultra-trail, les femmes sont presque toujours moins fatiguées après l’effort. Une plus grande proportion de fibres musculaires de type I et une plus grande capillarisation musculaire (c’est-à-dire une meilleure oxygénation musculaire) chez les femmes sont des explications possibles à la moindre fatigabilité chez les femmes et pourraient être un avantage pour les femmes sur les performances de course d’ultra-endurance. Bien que les résultats obtenus avec l’échelle sur ‘l’intention de compétiton’ des coureurs doivent être considérés avec prudence (car l’échelle n’a pas été soumise à un vrai processus de validation scientifique), la composante psychologique pourrait également contribuer à expliquer les différences entre les sexes en matière de fatigue après des courses de trail.

 

Dommages aux fibres musculaires, inflammation et douleurs musculaires à retardement

Lors d’un trail ou d’un ultra-trail, des milliers d’impacts et d’actions musculaires excentriques sont susceptibles d’induire des dommages musculaires élevés. En réalité, et malgré les courbatures très significatives, les dommages pourraient ne pas être aussi élevés que ce que l’on pourrait imaginer. En tous cas moins que ceux induits par des contractions excentriques pures beaucoup moins nombreuses mais d’intensité supérieure (Paulsen et al., 2012). En gros, plus que du nombre de contractions excentriques, les dommages dépendent surtout du niveau de force, très faible dans les descentes en ultra. Donc assez peu de dommage finalement, surtout lorsque l’on a affaire à des coureurs habitués à courir en descente qui bénéficient donc de l’effet protecteur. Qu’en est-il des différences hommes-femmes ? Des recherches sur l’animal ont montré que la prise d’œstrogènes permettait de protéger le muscle contre les dommages musculaires (par exemple Enns et Tiidus, 2010 ou Sonobe et al., 2010). Bien que les mécanismes sous-jacents ne soient pas encore totalement élucidés chez l’homme, on pense que les œstrogènes exercent leurs effets protecteurs en : (i) agissant comme un antioxydant, limitant ainsi les dommages oxydatifs ; (ii) agissant comme un stabilisateur de membrane en s’intercalant dans les phospholipides membranaires ; et (iii) se liant aux récepteurs d’œstrogènes, régissant ainsi les processus de réparation musculaire en aval, y compris l’activation et la prolifération des cellules satellites musculaires. Lorsque des comparaisons directes des dommages musculaires sont faites entre les sexes, par exemple sur des rats qui avaient préalablement courus pendant plus de 2 h en descente, les muscles des mâles étaient plus atteints que ceux des femelles. Chez l’être humain, il a été mesuré une plus faible concentration de créatine kinase (témoin des dommages musculaires) dans le sang des femmes que dans celui des hommes après 130 contractions excentriques des quadriceps (Stupka et al., 2001). Toutefois, la différence entre les sexes sur ce paramètre pourrait aussi provenir de la vitesse de recyclage de la créatine kinase. D’autant plus que les observations de la structure microscopique ne confirmaient pas la différence hommes-femmes. Une étude sur de la course en descente (Oosthuyse et al., 2017) a révélé des réponses maximales de la CK et des courbatures identiques pour les hommes et les femmes à 24 heures, mais des délais différents de récupération : par rapport aux hommes, les femmes affichaient retour à la normale plus précoce des CK mais étaient à l’inverse sujettes aux courbatures plus longtemps. Ces résultats soulignent le fait que la réponse de la CK reflète mal l’étendue des dommages musculaires, ou les courbatures. Tout coureur (ou coureuse) doit se souvenir que les courbatures disparaissent avant la récupération fonctionnelle complète. Quoi qu’il en soit, c’est tout de même utilisé dans la littérature pour quantifier les dommages donc regardons ce qui se passe en ultra-trail : des fourchettes extrêmement larges de CK (1500 à 264 300 UI/L) ont été rapportées après des ultra-trails mais sans différence entre les sexes (Temesi et al., 2015).

Dans l’étude sur Marseille-Cassis dont nous avons parlé plus haut, des courbatures ont été mesurées chez les hommes comme chez les femmes deux jours après la course au niveau des quadriceps, mais seules les femmes se plaignaient de courbatures sur les ischio-jambiers, ce qui suggère que les possibles différences entre les sexes dépendent du groupe musculaire (Macchi et al., 2021). Quatre jours après la course, malgré la disparition des courbatures, les hommes présentaient toujours des déficits fonctionnels (force maximale isométrique, drop jump) alors que les femmes avaient déjà récupéré. Enfin, notons que dans l’étude sur les consultations au cours de l’UTMB® 2009, les femmes ont moins consulté que les hommes (13% contre 21%), ce qui concorde avec une étude précédente (Satterthwaite et al., 1999) montrant que le nombre de blessures était plus important chez les hommes que chez les femmes lors de marathons mais est en désaccord avec une autre montrant l’inverse (Krabak et al., 2011).

En conclusion, le manque d’évaluation directe des dommages musculaires induits par la course, et surtout des contradictions entre les marqueurs des dommages musculaires rendent la question d’une possible meilleure résistance aux dommages musculaires de femmes difficile. En effet, selon que l’on s’intéresse à l’évolution de l’activité CK plasmatique, aux courbatures ou au déficit fonctionnel pendant la période de récupération, les résultats sont souvent en opposition. Si l’on devait tout de même prendre position, on répondrait tout de même oui à la question ci-dessus. Mais avec de grosses précautions. Peut-être a-t-on les dommages identiques mais une récupération structurelle plus précoce chez les femmes. Les œstrogènes pourraient protéger les membranes des fibres mais pas les fibres elles-mêmes. En outre, les œstrogènes pourraient inhiber l’inflammation et donc limiter la réparation du muscle endommagé (Kendall et Eston, 2002) bien que ce point soit sujet à caution (Enns et Tiidus, 2010). Difficile d’y retrouver ses petits sur un point pourtant crucial car influençant directement les programmes d’entrainement et le temps de récupération que l’on doit laisser entre séances traumatisantes ou week-end chocs.

Modification de la biomécanique et de l’économie de la course à pied avec la fatigue

De nombreuses études ont montré une dégradation du coût énergétique après des courses à pied prolongées sur route et en trail, y compris en ultra (Vernillo et al., 2017). Mais comme souvent la majorité des études ont été conduites chez les coureurs masculins. C’était le cas de toutes les études citées dans notre revue (Vernillo et al., 2017) et de nombreuses autres sur des distances plus courtes alors que seules quelques études ont impliqué des femmes. Ainsi, après 2 heures sur tapis roulant à une intensité relative donnée, Glace et al. (1998) ont montré une augmentation du coût en oxygène chez les hommes (en lien avec une plus grande fatigue neuromusculaire, voir section 4.1) mais pas chez les femmes. En revanche, deux autres études également conduites en laboratoire (1 h à allure marathon pour l’une (Loftin et al., 2009) et 5 km à 80-85% de VO2max pour l’autre (Thomas et al., 1999) n’ont pas montré de différence entre les sexes. Enfin, dans l’étude UTMB 2019 que j’ai déjà mentionnée plusieurs fois, l’augmentation du coût énergétique après des trails de 40 à 170 km, n’était pas différente entre les sexes d’un point de vue statistique bien que les chiffres seuls nous inciteraient à conclure à une meilleure préservation de l’efficacité de course des femmes lorsque le coût énergétique était mesuré sur le plat (+3,1% vs +8,7%) comme en montée (+1,4% vs +6,9%) (Besson et al., 2021). En résumé, ça penche plutôt en faveur des femmes, ce qui va bien dans le sens de leur meilleure résistance à la fatigue, mais d’autres études devront être menées pour que l’on ait une réponse plus tranchée à cette question.  

COMPARAISONS DE PERFORMANCES ENTRE HOMMES ET FEMMES DANS DIFFERENTES DISCIPLINES

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DES DIFFERENCES DE BIOMECANIQUE DE COURSE ?

Par Thibault Besson

La littérature scientifique s’intéressant aux différences entre les sexes sur la biomécanique de course est abondante, mais la multitude de variables étudiées et la diversité des méthodes d’analyse rendent les comparaisons entre les études assez difficiles. Les études s’accordent tout de même sur une observation commune : les différences entre les sexes existent principalement au niveau de la hanche et du genou. Les femmes présentent une adduction et une rotation de la hanche plus importantes pendant la phase de contact du pied au sol par rapport aux hommes. Ces différences ont été observées pour différentes pentes et vitesses de course (Chumanov et al., 2008). Toujours pendant la phase de contact du pied au sol, les femmes présentent également une abduction du genou supérieure aux angulations observées chez les hommes. Ces spécificités biomécaniques sont en grande partie attribuées aux différences anatomiques évoquées précédemment (largeurs du bassin et inclinaisons des fémurs supérieurs chez les femmes). La poitrine peut également avoir une influence sur la biomécanique de la course et de la marche. Une étude a même trouvé une légère influence négative de la masse de la poitrine sur le temps d’arrivée au marathon (Brown et al., 2016). Cependant, aucune étude n’a encore mis en lien la biomécanique du sein et du tronc des femmes avec la mécanique des membres inférieurs et les performances en course. L’influence de cette spécificité de la morphologie des femmes sur la biomécanique de la course reste à creuser.

Les hommes et les femmes diffèrent également sur leur capacité à produire de la force et de la puissance. En raison d’une masse musculaire plus importante, les hommes possèdent des capacités de production de force supérieures aux femmes, et cela se vérifie chez les coureurs de trail et d’ultra-trail (Besson et al., 2021). Les capacités de production de force inférieures associées à d’avantage de fibres de type I (ou fibres à contraction lente) sont une explication possible aux capacités de production de puissance également plus faibles chez les femmes. Les capacités de force et de puissance inférieures chez les femmes peuvent être un désavantage sur les performances en trail par rapport à celles des hommes. Mais c’est en fait plus compliqué que cela car une plus importante masse musculaire peut également nuire à l’apport d’oxygène aux muscles. L’influence des caractéristiques neuromusculaires sur les performances masculines et féminines en trail reste encore élucider.

Qu’en est-il des blessures ? On sait que les athlètes féminines dans les sports à risques (sports collectifs) ont 4 à 6 fois plus de ‘chances’ de se blesser sérieusement au genou que les hommes pour un sport donné (Hewett, 2000). Ceci est probablement en lien avec la musculature plus faible des femmes autour du genou, qui protège donc moins bien d’une atteinte des ligaments (Wojtys et al., 2003). Une autre explication possible est la laxité articulaire, plus importante chez les femmes que chez les hommes (en particulier pendant la grossesse ou en période prémenstruelle) en raison de l’imprégnation hormonale qui distend les ligaments et la capsule articulaire. Aussi, leur moindre résistance ligamentaire pourrait s’expliquer par l’action inhibitrice des œstrogènes sur la synthèse du collagène et la prolifération fibroblastique dans les ligaments croisés. Une dernière cause possible est à chercher dans les différences anatomiques au niveau du bassin et des membres inférieurs citées précédemment. C’est notamment pour une question de largeur de bassin que plus de femmes que d’hommes sont en pronation. Si on s’intéresse maintenant aux blessures liées à la course à pied, la prévalence globale ne semble pas différer entre les femmes et les hommes, mais le type de blessure peut dépendre du sexe. Une étude réalisée sur 2002 coureurs suivis sur deux ans a rapporté que les femmes avaient un risque plus élevé de souffrir de douleurs fémoro-patellaires et du syndrome de friction de la bandelette ilio-tibiale (ou syndrome de l’essuie-glace), tandis que les hommes étaient plus enclins à souffrir de lésions méniscales et de tendinopathies rotuliennes et achilléennes (Taunton et al., 2002). Une étude plus récente a observé que les femmes présentaient également davantage de lésions dues au stress osseux (Hollander et al., 2021). Encore une fois ces blessures plus spécifiques aux femmes sont expliquées par des perturbations menstruelles et une plus faible densité minérale osseuse. Bien que les raisons précises de ces différences soient difficiles à identifier, des facteurs intrinsèques (âge, anatomie, gènes, biomécanique, composition corporelle), mais aussi des facteurs extrinsèques (par exemple, la charge d’entraînement ou le type de chaussure) peuvent jouer un rôle.

Si on résume, nous avons vu que les femmes et les hommes possèdent des caractéristiques neuromusculaires différentes, et qu’ils courent et se blessent différemment. Quelles différences existent-t-il entre les chaussures de course des femmes et celles des hommes ?

En sus des conseils de choix d’une chaussure de trail que nous donnerons au chapitre 6, certains aspects concernent plus directement les femmes. En particulier, à pointure comparable, les femmes ont un pied plus fin, à la fois au niveau du talon et de l’avant-pied. Dans le même temps, elles souffrent davantage que les hommes de l’écrasement des métatarses (à cause du port de chaussures de ville étroites) et d’Hallux valgus, souvent accompagné d’oignons. Une attention particulière devra donc être portée au choix de la largeur de chaussure et aucune couture ne doit coïncider avec l’Hallux valgus. Les femmes sont en moyenne un peu plus légères que les hommes mais cela est vrai aussi si l’on compare un homme et une femme de même pointure. Les habitudes de chaussages du quotidien peuvent jouer un role dans le choix des chaussures de sport. Par exemple, le port régulier de chaussures à talon induit des modifications structurales du complexe muscle-tendon au niveau des mollets (raccourcissement des muscles et augmentation de la taille et de la raideur du tendon d’Achille) et ces modifications pourraient mettre à rude épreuve les muscles fléchisseurs plantaires lors du passage à des chaussures plates pendant la course. Nos travaux de recherche ont montré que des chaussures avec un drop élevé (10 mm) permettaient de limiter les contraintes sur l’articulation de la cheville, on pourrait ainsi conseiller des chaussures avec drop important si vous portez des talons afin de limiter aux maximum le stress mécanique et donc les blessures.

A part la couleur, existe-t-il des différences de conception sur les modèles hommes et femmes de chaussures de trail ? La forme de la chaussure (qui représente le volume du pied et servant à la confection de la chaussure) est évidement plus étroit pour les modèles femmes, et les propriétés amorties peuvent également différer chez certains équipementiers. A noter que pour certaines activités (les sports collectifs tels que le foot ou le basket pour ne pas les citer), la majorité des marques ne proposent même pas de modèles féminins et les femmes doivent se servir dans les rayons juniors pour s’équiper. Il n’est pas possible de passer ici en revue toutes les marques de chaussures mais sachez par exemple que plusieurs fabricants proposent des chaussures spécifiques pour les femmes souffrant d’hallux valgus, c’est-à-dire sans renfort à ce niveau. Plus étonnant, une chaussure qui s’adapterait aux hormones féminines a été proposée sur la base de matériau qui s’adapterait la forme du pied sensible à la production d’œstrogène pendant les différentes phases du cycle. Un peu difficile à avaler tout de même.

Les plaques de carbones dans les chaussures sont au cœur des débats pour leur influence supposée sur la performance en course à pied sur route. A noter que ces chaussures ont également fait leur apparition en trail. Bien que la plaque de carbone ne soit pas seule responsable, une pluie de records est tombée depuis l’arrivée de ces nouvelles technologies (voir chapitre 6). Si l’on s’intéresse de plus près à ces records, une récente étude a observé que l’amélioration des performances était même plus prononcée chez les femmes que chez les hommes depuis l’adoption des nouvelles technologies de chaussures (2017) (Bermon et al., 2021; Senefeld et al., 2021). Les femmes (niveau élite) ont amélioré leur temps de marathon de ⁓2 min, ce qui est conséquent à ce niveau de performance (soit une amélioration de +1,7% de la performance chez les femmes contre 0,8% chez les hommes). Dans un de nos récents projets de recherche (encore non publié) nous avons également observé des modifications biomécaniques plus amplifiées chez les femmes en réponse à une augmentation de la raideur des chaussures à la course. Ne devrait-t-on pas ainsi adapter la raideur de la chaussure à la femme ? De manière générale, ne devrait-t-on pas adapter la chaussure de course à pied à la femme ? Est-ce que ce que les différences de sexe que l’on observe en laboratoire sont toujours les mêmes après 3h de course en montagne ? Chaque question en amène une autre, c’est un processus sans fin.  

PODCAST CAMILLE BRUYAS ET NATHALIE BOISSEAU : LA GESTION DES CYCLES FEMININS EN TRAIL

LES RED-S

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Pour patienter, vous pouvez consulter la belle illustration de Sybille Matter et Joëlle Flück : 

EXISTE-T-IL UNE ALIMENTATION SPECIFIQUE ?

Le calcium

Le problème d’ostéoporose n’est pas à minimiser. Heureusement, la pratique de la course à pied protège contre cette pathologie. Au moins la pratique modérée car les données épidémiologiques concernant la pratique intense sont trop peu nombreuses pour répondre de façon certaine à la question des risques d’ostéoporose chez les ultra-traileuses. Cependant, les risques sont plutôt associés à un déficit des apports énergétiques. Les apports en calcium adéquats sont aussi essentiels, en particulier à l’adolescence et à la ménopause. Les produits laitiers, certaines eaux minérales, les brocolis, le chou vert, les haricots blancs, les fruits de mer (huitres, pétoncles), le jaune d’œuf, certains poissons (saumon, sardines), les fruits secs (amandes, dattes, figues) sont des sources de calcium importantes. En outre, la présence de vitamine D est essentielle pour que le calcium puisse jouer son rôle dans le remodelage osseux. La vitamine D a deux origines, exogène et endogène, cette deuxième source consistant en la synthèse de vitamine D à partir de dérivés du cholestérol sous l’action des ultraviolets. Profiter de chaque rayon de soleil pour aller courir en short et en t-shirt est donc une bonne idée. De ce point de vue, les ultra-traileuses ne sont pas les plus à plaindre.

Le fer

Les pertes de sang pendant règles peuvent accentuer les risques de carence en fer, surtout chez les femmes qui portent un stérilet car celui-ci accroît les saignements. Le risque de carence en fer est donc plus important chez la femme que chez l’homme Ainsi par exemple, 11% des femmes américaines âgées de 16 à 49 ans présentent une carence en fer contre < 1 % des hommes du même âge. De surcroit, des baisses de statut ferrique sont associées à l’entraînement comme décrit chez les athlètes féminines et les militaires (Ryan et al. 2021) (voir ‘carences martiales’ ci-dessous). C’est problématique pour plusieurs raisons qui ne sont pas seulement liées au transport de l’oxygène[1] (donc à la VO2max) mais aussi à la thermorégulation, la santé osseuse, la fatigue, la fonction immunitaire et même la force et les performances cognitives. Pourtant, en aucun cas il ne saurait être question de conseiller des supplémentations massives en aveugle qui peuvent notamment augmenter les risques de cancer. A contrario, on suggérera plutôt une alimentation riche en fer, si possible héminique (viande rouge, foie, boudin, etc.) en raison de sa meilleure assimilation, surtout si cela est couplé avec une prise de vitamine C. Les céréales complètes, les lentilles, le germe de blé, les fruits de mer (moules) sont aussi des aliments à consommer régulièrement. Le témoignage d’Irina Malejonock est intéressant : « je n’ai pas mangé de viande rouge pendant des années sans compenser par d’autres sources de fer. Bilan des courses : j’ai fait une anémie très sévère qui a nécessité l’arrêt du sport pendant deux mois ». A l’inverse, la prise massive de produits laitiers ou de thé/café réduit l’assimilation du fer.

Des carences martiales

Trois autres facteurs peuvent en théorie augmenter les risques de déficit en fer (encore appelé carence martiale) chez un coureur de grand fond, et donc s’ajouter à la cause liée aux saignements pendant les règles chez une ultra-traileuse : 1) l’hémolyse liés aux impacts à chaque foulée, même si nous avons montré que la masse de globules rouges ne diminuait pas après l’UTMB® (Robach et al. 2014, voir chapitre 3) ; 2) un plus grand turn-over des globules rouges, surtout si l’entraînement s’accompagne régulièrement d’épisodes de déshydratation ; et 3) de possibles hémorragies digestives et rénales. Pourtant, le volume d’entraînement ne semble pas être la cause majeure des carences en fer chez les athlètes d’endurance puisque ‘seulement’ 25% des coureuses sont carencées contre 50% des femmes sédentaires (Malczewska et al. 2000). Les causes sont plutôt à chercher du côté des saignements et des apports insuffisants. Quoi qu’il en soit, le risque de carence est accru chez la femme donc un suivi biologique est encore plus important chez l’ultra-traileuse pour surveiller, entre autres, ce paramètre. Attention, la prise de sang devra se faire à distance d’un entraînement long ou intense et a fortiori d’un ultra-trail car l’inflammation augmente artificiellement la ferritine, témoin des stocks de fer. Il est donc aussi préférable de doser en parallèle un témoin de l’inflammation, par exemple la CRP.

Le soja

Le besoin en protéines pour la récupération (voir chapitre 6) a conduit certains nutritionnistes à conseiller une alimentation riche en soja. On sait désormais que cela conduit à la production de phyto-œstrogènes[2] dont l’impact est mal connu. La famille des phyto-œstrogènes regroupe plusieurs molécules du monde végétal présentant une similarité avec la structure de l’œstradiol, leur conférant la possibilité d’exercer un effet semblable aux hormones féminines. Pour certains médecins, cela permet de traiter de manière efficace les troubles de l’humeur et les bouffées de chaleur associés à la ménopause. Les phyto-œstrogènes auraient aussi un effet bénéfique sur le tonus des vaisseaux sanguins. Pour d’autres, cela rajoute au contraire aux problèmes liés à la contraception féminine (prise de poids). Selon un rapport de l’agence française de sécurité sanitaire des aliments publié en 2005, les effets seraient modérés si on reste en deçà de 1 mg/kg de masse corporelle/jour, soit l’équivalent de 600 à 700 ml de lait de soja par jour. Il est dans tous les cas intéressant de diversifier les apports protéiques et ne pas se contenter du seul soja.

[1] Les conséquences d’une carence martiale sévère sur la performance aérobie sont directes, compte tenu du fait que le fer entre dans la composition de l’hémoglobine. La capacité de transport de l’oxygène par le sang s’en trouve donc affectée. Une carence en fer a aussi des conséquences sur le transport de l’oxygène dans les cellules (dont bien sûr les fibres musculaires) et sur les mécanismes de production d’énergie par l’oxygène.

[2] C’est la raison pour laquelle les jeunes filles qui souffrent de puberté précoce se voient interdire la consommation de soja.

FAUT-IL PORTER UN SOUTIEN-GORGE ?

Avec la collaboration du Dr Jean-Denis Rouillon, Professeur émérite à l’Université de Franche-Comté.

Introduction

Depuis une dizaine années, dans les médias, vous avez entendu, vu ou lu qu’il était possible de faire du sport « seins libres » donc sans soutien-gorge ou sans brassière de sport ? Cela vous a laissé perplexes et dubitatives ? Si l’expérience d’arrêter le soutien-gorge vous a traversé l’esprit, d’innombrables questions tournent en boucle dans votre tête. Un petit tour dans les rares études et les connaissances, quand même bien établies, en anatomie et physiologie de la poitrine vous permettra de faire votre propre choix. Après tout, cette option n’est pas idiote ni farfelue. Elle est même légitime puisque, jusqu’à l’invention du soutien-gorge, les seins étaient libres sous les vêtements ou compressés dans des corsets pour les « femmes de la haute » qui ne représentaient qu’une infime partie de la société. L’évolution naturelle de la forme de la poitrine était considérée comme normale jusqu’à ce que les fabricants des soutiens-gorge aient réussi à suggérer dans la tête des femmes que cette invention avait des pouvoirs magiques contre la ptose. En d’autres termes l’affaissement des seins. Voyons cela.

Le contexte personnel de chacune

Entre les convictions personnelles d’une part, et les connaissances scientifiques et médicales d’autre part, il existe un vrai débat. Le milieu sportif n’y échappe. Le fait que la course à pied soit une pratique d’extérieur ajoute une dimension particulière. Le voyeurisme n’est jamais bien loin. L’absence de brassière a-t-elle sa place dans ce jeu subtil ? Quelques éléments de réponse et astuces diverses vont tenter d’y répondre. A chacune de faire le meilleur choix dans sa tenue qui ne sera souvent différente à l’entrainement et en compétition, ou d’un lieu à un autre, ou d’une saison à l’autre. A chaque fois, la tenue choisie sera le résultat d’une réflexion parfois complexe. Pour celles qui n’ont jamais mis de soutien-gorge ou qui ont arrêté depuis longtemps, toutes ces réflexions peuvent apparaitre inutiles. Elles savent très bien faire automatiquement pour ne pas provoquer, tout en laissant toute liberté à leur poitrine. Pour celles qui souhaitent rejoindre cette catégorie après des années passées à rechercher et porter des brassières assurant toujours un maintien meilleur, une démarche progressive va, le plus souvent, être nécessaire pour que les freins soient levés, un par un, jusqu’à ce que leur comportement devienne totalement naturel, épanouissant et non suggestif. L’état initial de la poitrine résultant des habitudes antérieures, la motivation à rejeter toute forme de soutien, la vitesse à laquelle les seins vont s’adapter vont conditionner la progression à respecter en sachant que certaines franchissent le pas au premier essai alors que pour d’autres il faudra des mois. Peu importe la durée, l’essentiel est d’assumer ses choix et d’atteindre le but fixé dans cette aventure. Ce qui suit peut vous aider dans votre prise de décision et pour la démarche à suivre.

Des réponses à de multiples questions

Ai-je le droit de ne pas porter de soutien-gorge ?

En France, il n’existe aucune loi générale rendant obligatoire le port du soutien-gorge. Toutefois, il existe une foultitude de règlements intérieurs qui rendent parfois très compliqué le fait de ne pas en porter. A notre connaissance, et d’après la règlementation des manifestations de running adoptée par le Comité Directeur de la FFA du 25 juin 2021 et applicable au 1er novembre 2021, aucune obligation de porter un soutien-gorge ou une brassière n’existe pour les compétitions de trail.

Est-il possible de se passer de soutien-gorge au quotidien ?

L’habitude de porter un soutien-gorge est devenue une norme sociale dans les sociétés dites évoluées et a gagné progressivement la planète entière. A première vue, ce comportement parait totalement logique. Cependant, à la réflexion, il repose sur un prérequis erroné : le sein n’est pas fragile par nature. Avant l’invention du soutien-gorge, le sein ne posait pas de problème particulier. Le sein possède naturellement un système de suspension de la glande mammaire très efficace mais que la mise au repos forcée de ce système par le soutien-gorge induit une dégénérescence progressive de ce système de suspension et, au fil des mois et des années, les seins ne sont plus capables d’assumer leur propre poids. Leur peau devient granuleuse et que des vergetures apparaissent. Il existe à ce jour au moins une preuve scientifique de l’effet contre-productif du soutien-gorge porté toute la journée. Elle concerne un travail d’expertise commandé par un fabricant de lingerie qui voulait valider un prototype « parfait » de soutien-gorge. Ce modèle a été conçu pour limiter le plus possible les déplacements du sein tout en assurant un confort maximal. Cette étude (Ashizawa et al. 1990) montre que, contrairement à l’opinion commune et aux attentes du fabricant, il existe un effet défavorable de ce prototype qui, en 3 mois, s’est avéré inducteur de ptose (descente du sein sur le thorax) ! Elle confirme que, lorsque le sein est hyper protégé, ses tissus de suspension s’affaiblissent. En effet, toutes les connaissances anatomiques, biomécaniques et physiologiques de ces mécanismes d’adaptation, connues sous les termes de mécanobiologie ou mécanotransduction, vont dans ce sens depuis des décennies : l’arrêt du port du soutien-gorge relance les mécanismes de suspension du sein qui ont été entravés par le soutien-gorge dès que la femme en pris l’habitude. Inversement, il est impossible de trouver la moindre étude montrant que le soutien-gorge empêche, ou même ralentit, le vieillissement de la poitrine et la ptose.

Cela concerne-t-il toutes les femmes ?

Il n’y a pas limite d’âge pour franchir le pas. En suivant certaines recommandations, de façon progressive et adaptée à chacune, il est possible pour chaque femme de se passer de tout soutien, sans ressentir de douleur et en constatant un raffermissement des seins et même une remontée de la poitrine sur le thorax. C’est par exemple possible pour une femme de 40 ans avec 3 enfants de se passer de soutien-gorge. Ça lui sera bénéfique même si, pas plus que les autres, elle ne retrouvera les seins de sa prime jeunesse.

Est-il possible de courir sans soutien-gorge ? Est-ce dangereux pour mes seins ?

Depuis quelques jours ou quelques semaines, à la maison ou au travail, vous avez laissé vos soutiens-gorge au placard. Vous vous êtes réapproprié vos propres seins. Ils ont perdu cette fragilité indue. Alors, vient naturellement la question de savoir ce que ça donnerait en course à pied. Un petit signe peut vous servir de feu vert pour l’essai. C’est le test de l’escalier. Si dans votre nouvelle vie domestique vous descendez les escaliers sans ressentir le besoin de croiser les bras,  c’est le signe que c’est le moment d’essayer. Si vous voulez encore mieux vous évaluer et préparer votre poitrine à ce nouveau régime, le meilleur entrainement classique en la matière est la corde à sauter, seins libres bien sûr. Là vous maitrisez totalement la situation pour entrainer  vos seins à accompagner le mouvement sans douleur. En quelques secondes d’abord, ou quelques minutes par la suite, vous connaitrez le degré d’adaptation de vos seins et il vous sera facile de faire vous-même le programme personnalisé d’entrainement de vos seins.

Vous vous sentez à l’aise ? C’est le moment de tester la course à pied. Le mieux est de commencer sur un terrain meuble et à plat pour une petite distance. Par précaution vous pouvez prendre une brassière dans votre poche « au cas où ». Ça rassure et c’est facile à enfiler si nécessaire. Une petite astuce aussi mais vous le faites déjà sans doute d’instinct en marchant chez vous depuis que vous avez entrepris cette aventure : placer vos épaules un peu plus en arrière. Comme ça, vous vous tiendrez un peu plus droite et immédiatement vous sentirez que vos seins sont naturellement mieux plaqués sur le thorax et qu’ils ne bougent pas autant qu’avant. De plus vous respirerez mieux. C’est tout bénéfice. Si votre conformation et la nature de vos seins font qu’ils ont tendance à bouger beaucoup, alors il suffit de jouer sur la tenue. La règle générale est de mettre deux couches de vêtement amples dont les mouvements vont invisibiliser ceux de votre poitrine.

Respecter quelques règles

Attention néanmoins au début à la course en fortes et longues descentes. Ça peut tirer fort dans le haut des seins ou sur les côtés au point de faire mal quel que soit le poids de votre poitrine. Mais pas de danger. Vos seins ne vont pas « tomber ». Peut-être ressentirez-vous comme des petites courbatures pendant les quelques heures qui suivent mais qui sont le signe que les tissus qui suspendent vos seins vont se renforcer. Après quelques séances, vous n’y penserez plus. Ce sera le signe que vos seins sont adaptés. Comme d’autres avant vous, vous trouverez sans doute l’effet d’automassage procuré par le mouvement rythmique de votre poitrine plaisant et agréable. Dans tous les cas, c’est bon pour elle. Une petite mésaventure peut vous arriver dès le premier essai de course sein libre. Il s’agit de l’irritation du mamelon dû à son frottement contre certains habits. En prévention, il suffit de mettre sur le mamelon une touche de n’importe quelle crème anti-frottement[1] et le mamelon va progressivement développer une couche de cellules cornées protectrices évitant les soucis à venir.

 Vous attendiez plutôt des études scientifiques que ces conseils ? Il n’y en a pas à ce jour sauf un début de réponses apporté par deux thèses de médecine des années 2010 dirigées par le Professeur J-D Rouillon, médecin du sport qui, à notre connaissance, travaille avec ses collègues à la publication de ces résultats dans des revues médicales pour les valider au niveau international. Voici les liens vers ces deux thèses qui restent à ce jour le seul travail expérimental autre que la référence d’Ashizawa et al. (1990) que nous avons citée plus haut.

La conclusion de ces deux thèses est que chez cette population de femmes jeunes en bonne condition générale, à l’arrêt du soutien-gorge (y compris en sport), après quelques jours et, en tous les cas en moins de 6 semaines, 1) le confort ressenti au niveau de la poitrine est amélioré ; 2) l’adaptation du système de suspension des seins fait que la poitrine remonte en moyenne de 7 mm après 12 mois ; 3) la fermeté des seins s’améliore de façon significative.

Effets sur la performance

La liberté du thorax donc de la respiration constitue un élément capital de la performance. C’est particulièrement vrai en trail puisque la consommation d’oxygène est un des principaux déterminants de la performance (revoir le chapitre 1). C’est encore plus vrai chez la femme chez qui la respiration se fait, beaucoup que chez l’homme, par l’élévation des côtes donc une augmentation du périmètre thoracique à chaque respiration. Ceux ou celles qui en doutent n’ont qu’à se chronométrer sur un parcours test en courant avec ou sans une ceinture serrée, même modérément placée, sous les pectoraux. Les plus observateurs auront sans doute déjà noté que, par exemple, la ceinture des cardiofréquencemètres les gêne dès qu’elle est à peine trop serrée. La liberté thoracique totale a aussi un effet connu empiriquement depuis des millénaires, et confirmé par la science récente, sur le stress en stimulant la composante parasympathique du système nerveux autonome qui régule toutes nos grandes fonctions involontaires telles que celles du système cardiovasculaire. A ce titre, une étude récente a même montré que le port du soutien-gorge influençait défavorablement la variabilité de la fréquence cardiaque, connue comme étant un facteur de performance (Miyatsuji et al., 2002). De plus, chacun sait que la respiration, sans entrave thoracique, est la base essentielle du yoga, de la sophrologie et des innombrables techniques de relaxation ou à effet anti-stress.

Laisser tomber le soutien-gorge ou la brassière s’assortit d’un bénéfice supplémentaire auquel on ne pense pas immédiatement. Il s’agit du gain de poids. Les compétitrices averties sont très vigilantes et cherchent à alléger non seulement leur poids corporel mais aussi, en priorité celui de leur matériel. Et pourtant, si le poids des brassières ultra-light commence à 150 g pour les petites tailles, il peut facilement avoisiner les 500 g selon la taille bien sûr pour les brassières de sport les plus sophistiquées comportant beaucoup de tissu élastique qui assurent un maintien maximum de la poitrine. Sur un ultra-trail, 500 g de plus ou de moins se traduit par plusieurs minutes sur le chrono. Un argument de plus à prendre en compte.

[1] de la banale vaseline convient très bien